J’aime les aéroports. Ou plus exactement le hall des arrivées dans les aéroports. Ils sont emplis de la joie des retrouvailles. Après s’être acquitté des laborieux contrôles de sécurité, avoir subi la fouille corporelle, car peu importe qu’on enlève chaussures, montre, ceinture, ce maudit portique sonne toujours à notre passage, après avoir passé plusieurs heures enfermé dans un avion, assis dans un siège trop étroit à côté d’un inconnu qui s’accapare l’accoudoir, après avoir dû jouer des coudes pour récupérer ses bagages, on franchit enfin les portes automatiques et l’on est accueilli par un mur de visages souriants, impatients, cherchant des yeux un être aimé. C’est également ce que j’ai trouvé à mon arrivée à l’aéroport de Göteborg. Des embrassades, des cris de joie, des sourires pétillants. Une grand-mère qui se saisit maladroitement d’un enfant posté sur les épaules de son père. Qui s’extasie sur les centimètres acquis par la grande sœur, une fillette de dix, peut-être onze ans, depuis la dernière fois que la petite famille lui a rendu visite. Plus loin, une femme aux cheveux dissimulés sous un foulard qui fait hululer sa langue, une main devant la bouche. Qui ouvre grand les bras pour que s’y précipite une autre femme avec un autre foulard. Une jeune fille mince et belle qui pousse un léger cri lorsqu’enfin apparaît le garçon qu’elle aime. Qui goûte avidement ses lèvres alors qu’il tient encore sa valise à la main, ne se souciant pas de son indécence, n’en ayant même pas conscience. Elle se sert contre lui comme s’il risquait de disparaître à nouveau, comme s’il risquait de lui échapper. Les regarder me fait mal. Un peu. Moins maintenant. Ça me fait comme gratter une plaie pas tout à fait cicatrisée, comme arracher une croûte épaisse de sang coagulé. C’est encore douloureux, mais on n’y résiste pas. On laisse perler une goutte de sang et on est un peu soulagé.
Moi, personne ne m’attend à Göteborg. Personne n’est venu me chercher à l’aéroport. Pas de visage souriant qui me soit destiné. Alors je ne suis pas pressée. Je peux rester là des heures à observer les gens. Je regarde ceux qui passent près de moi pour jeter distraitement une carte postale dans la boîte aux lettres jaune à côté de laquelle je me suis assise. Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi ce banc, justement celui-là. Ma lettre, je n’ai pas besoin de l’envoyer. Tu n’es plus là pour la recevoir. J’ignore même pourquoi je prends la peine de l’écrire, de t’adresser ces mots vains qui se perdront avec le temps comme l’écume avec le ressac des vagues.
J’aimerais qu’un visage s’illumine à mon arrivée à l’aéroport. J’aimerais que ce visage, ce soit le tien. J’ai beau savoir, j’ai beau savoir au plus profond de ma chair, je ne peux m’empêcher de le chercher parmi la foule, de tressaillir lorsqu’une ressemblance me surprend. Lorsqu’une silhouette se profile qui pourrait être la tienne. Ça ne dure qu’un instant, une demi-seconde d’espoir insensé. Puis la silhouette se retourne et ce n’est pas toi. Je peux alors sentir le vent s’engouffrer dans le trou béant que ton départ a laissé dans ma poitrine. Il me faut souvent quelques secondes pour reprendre mes esprits. Plusieurs heures pour reprendre mon souffle. Je m’assois sur un banc, près d’une boîte aux lettres, dans un aéroport. Je regarde les gens. J’imagine leur vie. J’essaie de ne pas penser à la nôtre.
[Premiers paragraphes de ce roman précipité, L’écume du vent, que j’ai proposé pour le Prix Nouveau Talent et dont je parlais ici]