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Le journalisme scientifique : entretien avec Marta Zaraska

Marta Zaraska est journaliste scientifique. Ses articles sont notamment parus dans le Washington Post, Scientific American, Newsweek et New Scientist. Elle a publié deux romans, contribué à deux ouvrages du National Geographic, voyagé dans plus de 80 pays et vécu dans 6 d’entre eux. Elle a récemment publié Meathooked : The History and Science of Our 2.5-Million-Year Obsession With Meat chez Basic Books. Marta vit actuellement en France.

Du bout des lettres : Pouvez-vous nous dire un mot de votre parcours et de votre rapport à l’écriture?

Marta ZaraskaMarta Zaraska : J’ai su que je voulais écrire dès l’âge de cinq ans. Les sciences m’intéressaient aussi beaucoup : l’environnement, la biologie, la chimie. J’ai même contacté un éditeur quand j’avais environ neuf ans (mes parents n’étaient pas au courant, autrement, je suis presque sûre qu’ils m’en auraient dissuadée). L’éditeur a refusé ma proposition, bien évidemment, mais il a été très gentil.

Par la suite, je me suis un peu éloignée de ce désir d’écrire : j’ai étudié le droit dans l’idée de devenir avocate, mais je n’ai jamais aimé ça. En parallèle de mes études, j’ai toujours travaillé pour plusieurs journaux et revues et j’ai décroché un poste de reporter au plus grand quotidien de Pologne. J’étais chargée des affaires étrangères. J’ai adoré. J’ai été envoyée au Rwanda, au Cameroun, en République démocratique du Congo ; j’ai interviewé des rebelles somaliens, des représentants du gouvernement soudanais, etc. Mes parents, eux, n’étaient pas aussi enthousiastes. Parfois, je ne leur disais même pas où j’allais. Ils se seraient fait trop de souci. Cependant, c’est très difficile d’écrire dans ce domaine et j’ai progressivement dévié vers le journalisme scientifique (mon autre passion). J’ai déménagé au Canada avec mon mari et me suis lancée en indépendante. Continue reading

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« Le livre avant tout » : entretien avec Fanny Wallendorf, traductrice de Carver et Cassady (2/2)

Fanny Wallendorf est écrivain et traductrice. Elle a notamment traduit un recueil d’entretiens avec Raymond Carver (Grandir et Durer, Conversations with Raymond Carver, Diabase, 2014) et la correspondance de Neal Cassady (Un truc très beau qui contient tout, Finitude, 2014 et Dingue de la vie & de toi & de tout, Finitude, 2015). Elle signe aussi la traduction de Mister Alabama, de Philipp Quinn Morris, à paraître en octobre 2016 chez Finitude.

{La première partie de l’entretien est disponible ici}

Le traducteur est reconnu officiellement en France comme un auteur, et sa traduction est un véritable travail de création. Si bien qu’il est parfois difficile de distinguer le travail de traduction du travail d’« écriture personnelle ». Il faut souvent recourir à des expressions un peu alambiquées pour les distinguer. Selon toi, cette distinction est-elle pertinente ? Tu fais par exemple preuve d’une exigence tout aussi forte dans la traduction que dans l’écriture. Qu’est-ce qui diffère alors dans ton travail de l’une à l’autre ?

Je ne pense pas que le traducteur soit reconnu comme un auteur, loin de là. Je pense que l’exercice de la traduction reste méconnu. Heureusement, certains grands traducteurs nous permettent de lire un peu à ce sujet. L’écriture, processus énigmatique s’il en est, ne peut probablement être abordée que par ce biais. Sinon c’est trop difficile, voire pas souhaitable.

Si l’on s’en tient au premier degré de perception des choses, on pense que dans la traduction on a à rendre quelque chose de visible, de « déjà-là », et que dans la « fiction » il s’agit d’arracher quelque chose à l’invisible. Pour ma part, il s’agit à chaque fois d’atteindre l’état qui permet de rendre une énergie, dans toutes les composantes de sa singularité. Dans les deux cas, cette énergie est comme indépendante de moi. Continue reading

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« Le livre avant tout » : entretien avec Fanny Wallendorf, traductrice de Carver et Cassady (1/2)

Fanny Wallendorf est écrivain et traductrice. Elle a notamment traduit un recueil d’entretiens avec Raymond Carver (Grandir et Durer, Conversations with Raymond Carver, Diabase, 2014) et la correspondance de Neal Cassady (Un truc très beau qui contient tout, Finitude, 2014 et Dingue de la vie & de toi & de tout, Finitude, 2015). Elle signe aussi la traduction de Mister Alabama, de Philipp Quinn Morris, à paraître en octobre 2016 chez Finitude.

Fanny Wallendorf, traductrice de Carver et CassadyOn te connaît avant tout pour ton travail de traductrice, mais tu es aussi écrivain. Personnellement, quel(s) terme(s) emploies-tu pour te qualifier ? (Écrivain, traductrice, écrivain-traductrice, traductrice-écrivain…)

S’il fallait me qualifier, je dirais que je suis quelqu’un qui consacre ses journées à écrire.

J’ai écrit pendant une quinzaine d’années avant de me lancer dans la traduction par hasard. Outre la volonté de faire vivre une œuvre et de rencontrer un auteur de cette façon unique, j’ai pensé que la traduction m’apprendrait des choses. Qu’elle serait une sorte de maître qui m’imposerait de ne pas fuir certains problèmes que pose l’écriture, devant lesquels je me défilais ou me sentais dans l’impasse. Je ne savais pas dans quelle grande et belle aventure je m’engageais, et à quel point l’apprentissage serait sévère ! Aujourd’hui, je n’imagine pas ne pas traduire. J’en éprouve à la fois le besoin et le désir. J’ai beaucoup de projets, dont la plupart seront difficilement réalisables, notamment à cause du chemin de croix que peut représenter l’acquisition des droits d’une œuvre.

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« Créer les Éditions Nomades, c’était un défi personnel » : rencontre avec Florie Bodin

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Les Éditions Nomades, créées par Florie Bodin et Lucille Pachot, publient des guides de voyage « faits par des voyageurs pour des voyageurs ». Très attachées à l’image et à l’aspect esthétique, elles proposent également des albums jeunesse, des carnets de voyage ainsi que des livres et tirages d’art.

Les Éditions Nomades ont fêté il y a peu leurs trois ans d’existence. L’occasion de revenir avec l’une des fondatrices sur le cheminement de cette petite maison qui vous emmène loin !

Vous avez créé votre maison d’édition dès la fin de vos études, à la suite d’un master professionnel. Pourquoi ce choix ?

Tout d’abord, par envie d’entreprenariat. Mais les circonstances ont aussi beaucoup joué. J’ai suivi ma formation en alternance. À la fin de mon contrat d’apprentissage, la maison d’édition pour laquelle je travaillais a été mise en vente et délocalisée à Clermont-Ferrand. Il n’a donc pas été possible pour moi de rester dans cette structure. C’est toujours un peu frustrant : j’avais la sensation d’avoir vraiment créé mon poste et développé des compétences me permettant d’aller plus loin.

À ce moment-là, je connaissais déjà Lucille. Dans le cadre de notre master, nous avions évolué ensemble sur des projets et notre collaboration fonctionnait bien. Au détour d’une discussion, nous avons évoqué notre envie d’entreprendre, au départ plutôt sur un mode associatif pour essayer de mettre à profit nos compétences. Mais le projet a rapidement pris une plus grande ampleur, nous voulions y mettre plus de sérieux et de cadre. Nous avons donc décidé de monter une société et de nous donner les moyens pour que ça marche. Nous avions envie de voir jusqu’où nous pouvions aller. C’était aussi un défi personnel.

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Entretien avec Émilie de Turckheim (2/2) — « L’écriture est un lieu, un pays. »

img732Émilie de Turckheim est l’auteure de six romans, dont trois parus aux Éditions Héloïse d’Ormesson (Le Joli Mois de mai, 2010 ; Héloïse est chauve, 2012 ; Une Sainte, 2013). Elle a également publié chez Naïve un joli petit récit autobiographique sur son expérience de modèle vivant pour peintres et sculpteurs : La Femme à modeler (2012).

Je l’ai rencontrée lors de sa venue au Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, l’initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain.

La première partie de l’entretien est disponible [ici].

 

Vous avez écrit sur votre expérience de visiteuse de prison dans Une Sainte. Comment est-ce que vous tissez cette expérience réelle à la fiction, comment travaillez-vous cette matière ?

Avant de le faire, je pensais que ça ne changeait absolument rien, que c’était très abstrait ces frontières entre roman, texte autofictionnel ou autobiographique. Je pensais que dans tous les cas, on faisait la même chose de façon cachée : parler du monde qu’on voit, de soi, de son histoire, de son expérience… En écrivant ce texte qui me touche de très près (quand je l’ai écrit, cela faisait dix ans déjà que j’étais visiteuse), je me suis rendu compte que cela me posait un problème : sous prétexte que c’est tiré d’éléments vécus, j’ai l’impression qu’il faut que ça soit absolument vrai, que je n’ai pas le droit de modifier quoi que ce soit, même pas la couleur des yeux du détenu que je rencontre. Alors que quand je suis dans l’absolu liberté de la fiction romanesque, tout est permis, même quand je parle de choses très intimes qui sont finalement tout aussi réelles que cette expérience vécue. J’ai plutôt vécu cela comme frein. J’ai donc choisi cette forme idéalisée, presque du conte pour enfants, avec ce ton circulaire quasiment biblique pour mettre à distance ce qui me paraissait très étrange, c’est-à-dire la vérité de ma vie qui d’un seul coup n’avait plus rien à faire dans un livre. Tous ces détails qui normalement fleurissent de façon totalement impromptue, je devais au contraire les chercher comme dans des tiroirs en moi. C’est plus besogneux, j’avais la sensation de quelque chose de moins totalement libre.

À la rentrée littéraire prochaine, je publie mon journal de grossesse. À aucun moment il ne s’agit d’un roman. Dans ce cas-là, je me suis sentie beaucoup plus à l’aise parce que j’avais l’impression qu’il n’y avait absolument rien à changer. Tout était dicible, tout était pertinent puisque c’était autobiographique. Dans un roman qui s’inspire de mon histoire personnelle, c’est plus casse-gueule. Parce que j’ai un problème avec la vérité des détails. Je suis très attachée au sens des détails. Si je me mets à mentir, à remplacer un détail par un autre, même s’il me paraît plus vrai ou plus pertinent pour mon roman, j’ai un sentiment de malaise. Par exemple, dans Une Sainte, imaginons qu’un détenu dont je parle très évidemment lise — ce qui n’arrivera jamais — ce roman et se reconnaisse, qu’il reconnaisse la moitié des choses et pas l’autre moitié. Je me demande si la moitié inventée n’entache pas la moitié réelle. Je me demande si on peut mélanger à ce point les choses qui sont vraiment arrivées et les choses qui sortent de son esprit sans tout pervertir. Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question, mais c’était très intéressant de se la poser avec justement un texte qui était à la limite de l’autobiographie — sur certains aspects bien sûr, je n’ai pas d’ailes qui poussent dans le dos et je n’ai jamais aidé quelqu’un à s’évader de prison ! Mais quand même, intégrer des lieux, des conversations, des personnages qui existent vraiment dans la vie, c’est le bordel.

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Entretien avec Émilie de Turckheim (1/2) — « L’écriture, c’est corrosif. »

SONY DSCÉmilie de Turckheim est l’auteure de six romans, dont trois parus aux Éditions Héloïse d’Ormesson (Le Joli Mois de mai, 2010 ; Héloïse est chauve, 2012 ; Une Sainte, 2013). Elle a également publié chez Naïve un joli petit récit autobiographique sur son expérience de modèle vivant pour peintres et sculpteurs : La Femme à modeler (2012).

Je l’ai rencontrée lors de sa venue au Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, l’initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain.

Retrouvez la seconde partie de l’entretien dans quelques jours !

Quand avez-vous commencé à écrire ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit. Et avant même d’écrire en fait, je m’inventais des histoires que je reprenais soir après soir dans mon lit. Je composais comme ça de petits romans. Vers six ou sept ans, je préparais des tables des matières et j’écrivais le premier chapitre. Je me souviens que j’écrivais toujours des premiers chapitres. J’ai retrouvé de petits textes, écrits presque en phonétique. Je vivais à New York à l’époque donc j’apprenais à lire et à écrire en anglais et je n’étais pas encore très au point avec le français.

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