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Un dimanche avec Sylvie Germain (2/4)

Le 3 novembre, Sylvie Germain était à la librairie Ombres Blanches. Suite d’une esquisse de compte-rendu. Lire la première partie [ici]

Le dernier roman de Sylvie Germain se découpe en 49 chapitres, ou 49 scènes. Quand on lui demande ce que ce chiffre représente, pourquoi pas cinquante, elle s’empresse de répondre qu’il n’y a là aucune symbolique, aucune volonté particulière. À part, peut-être, qu’elle « déteste les chiffres ronds » et a « un faible pour les nombres impairs ».

La fabrique de l’imaginaire

Sylvie Germain rebondit d’ailleurs la question de son interlocuteur et souligne que l’on demande toujours aux auteurs « pourquoi ? », « qu’est-ce que vous vouliez dire ? ». Elle, se défend : « Je ne voulais rien ! » Alors oui, il y a ces auteurs méticuleux qui préparent tout un plan à l’avance, qui s’y tiennent ou non dans l’écriture, mais qui, toujours, partent de ce synopsis détaillé qui les guide. Sylvie Germain, elle, non. Elle, c’est une image floue et persistante qui lui sert de point de départ, quelque chose comme un reste de rêve, quelque chose « qui lancine ». Et elle se lance, sans vraiment savoir où cette image la mènera. La voilà, la « fabrique de l’imaginaire », dont elle parlait un peu plus tôt. Chez Sylvie Germain, « les images appellent les images, les mots appellent les mots », ils ont leurs correspondances, se renvoient les uns aux autres, se font échos, parfois sans que l’écrivain même en ait conscience, maîtrise.

Et l’écriture est ainsi pour Sylvie Germain : « émanation, exhalaison ». Elle réclame de se mettre dans un état de disponibilité, une sorte de rêverie de laquelle l’imprévu surgit. Alors, pour sentir le moment où il faut s’arrêter, finir, il faut être en mesure de se dédoubler, d’opposer à la passion un reste de capacité de raison. Car il est difficile de finir. Si dès le début, on s’impatiente de connaître la fin, arrivé à celle-ci, on voudrait « continuer cette lutte, cette danse, cette aventure. Car écrire est une aventure, et si ça ne l’est plus, ce n’est pas la peine d’écrire. Ou alors on fabrique des livres ». L’écriture en appelle donc aussi à une extrême vigilance. Parmi ces « flux », ces « bouffées d’inspiration » qui vous raptent, il faut éveiller en soi « un scribe grammairien qui surveille, qui veille à la cohérence ». Et qui sache saisir au vol ces images qui surgissent parfois trop vite et fusent. Tout cela n’est pas sans risque, Sylvie Germain le dit : « L’imaginaire, c’est de la dynamite ».

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Un dimanche avec Sylvie Germain (1/4)

En cette matinée du 3 novembre, Sylvie Germain, petite mine mais regard acéré, était à la librairie Ombres Blanches pour présenter son dernier livre, Petites scènes capitales, et rendre hommage à J. B. Pontalis dans le cadre du Marathon d’automne.

Impressions d’un dimanche avec Sylvie Germain.


Sylvie Germain et l’Autre

En janvier 1989, J. B. Pontalis fonde chez Gallimard une collection qui cherche à dévoiler « les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente ». Cette très belle collection, c’est L’un et l’autre, aux titres de laquelle figurent plusieurs ouvrages de Sylvie Germain : La Pleurante des rues de Prague (1992), Céphalophores (1997) et Les Personnages (2004).

Cette collection, où l’autre peut-être un inconnu, un objet, un animal (le chien, dans Les Larmes d’Ulysse, de Roger Grenier), voire une œuvre, mais plus souvent une figure du passé, un modèle, une inspiration, cette collection donc, qui offre une vraie liberté de sujet, est, pour Sylvie Germain « un très beau cadeau fait aux auteurs ». Elle ajoute : « Sans cette collection, ces livres, je ne les aurais sans doute jamais écrits ». Chaque titre de L’un et l’autre, elle le décrit comme un « exercice de gratitude, sans doute sa plus belle dimension ».

La Pleurante des rues de Prague

De sa première contribution à la collection de Pontalis, Sylvie Germain retient le titre, le problème de traduction qu’il pose : si l’on connaît « pleureuse » ou « pleurant », le terme de « pleurante » est quant à lui absent de bien des langues. La traduction opte donc souvent pour « pleureuse », qui n’est pas toujours très bien connotée. Sylvie Germain semble lui préférer le pleurant de la sculpture : « J’aime le participe présent. C’est quelque chose qui reste actif ».

La Pleurante des rues de Prague, c’est aussi « l’un des livres les plus représentatifs de comment fonctionne la “fabrique de l’imaginaire” », de cette persistance dans la pensée de certaines images dont on ne connaît pas nécessairement le sens. Cette « fabrique », elle en parle aussi dans Les Personnages, de « comment ils adviennent sans qu’on sache trop ce qu’ils nous veulent et comment l’histoire se construit autour d’eux qui nous échappent toujours un peu ».

Ainsi, « on écrit pour donner voix à cette altérité que l’on porte en soi. La collection L’un et l’autre est idéal pour cela ».

Céphalophores

Le céphalophore est ce saint décapité qui poursuit sa procession, sa tête entre les mains. L’image séduit Sylvie Germain qui s’amuse alors des nombreuses expressions langagières dans ce registre : perdre la tête, avoir la tête ailleurs… Elle s’amuse aussi de ce que ce mot, absent du dictionnaire, a plombé les ventes du livre : « Les gens m’ont demandé pourquoi j’avais écrit un livre sur les escargots ».

Puis, de nouveau sérieuse, elle parle de ce qui est, pour elle, « la plus belle image, terrible à la fois » : la tête d’Orphée, roulant dans le fleuve après que son corps eut été déchiqueté par les Ménades, et qui poursuit son chant. « Le chant du véritable poète ne peut jamais s’arrêter. Il continuera, même au bout du souffle, à appeler son Eurydice. »

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[Extrait] L’écume du vent

J’aime les aéroports. Ou plus exactement le hall des arrivées dans les aéroports. Ils sont emplis de la joie des retrouvailles. Après s’être acquitté des laborieux contrôles de sécurité, avoir subi la fouille corporelle, car peu importe qu’on enlève chaussures, montre, ceinture, ce maudit portique sonne toujours à notre passage, après avoir passé plusieurs heures enfermé dans un avion, assis dans un siège trop étroit à côté d’un inconnu qui s’accapare l’accoudoir, après avoir dû jouer des coudes pour récupérer ses bagages, on franchit enfin les portes automatiques et l’on est accueilli par un mur de visages souriants, impatients, cherchant des yeux un être aimé. C’est également ce que j’ai trouvé à mon arrivée à l’aéroport de Göteborg. Des embrassades, des cris de joie, des sourires pétillants. Une grand-mère qui se saisit maladroitement d’un enfant posté sur les épaules de son père. Qui s’extasie sur les centimètres acquis par la grande sœur, une fillette de dix, peut-être onze ans, depuis la dernière fois que la petite famille lui a rendu visite. Plus loin, une femme aux cheveux dissimulés sous un foulard qui fait hululer sa langue, une main devant la bouche. Qui ouvre grand les bras pour que s’y précipite une autre femme avec un autre foulard. Une jeune fille mince et belle qui pousse un léger cri lorsqu’enfin apparaît le garçon qu’elle aime. Qui goûte avidement ses lèvres alors qu’il tient encore sa valise à la main, ne se souciant pas de son indécence, n’en ayant même pas conscience. Elle se sert contre lui comme s’il risquait de disparaître à nouveau, comme s’il risquait de lui échapper. Les regarder me fait mal. Un peu. Moins maintenant. Ça me fait comme gratter une plaie pas tout à fait cicatrisée, comme arracher une croûte épaisse de sang coagulé. C’est encore douloureux, mais on n’y résiste pas. On laisse perler une goutte de sang et on est un peu soulagé.

Moi, personne ne m’attend à Göteborg. Personne n’est venu me chercher à l’aéroport. Pas de visage souriant qui me soit destiné. Alors je ne suis pas pressée. Je peux rester là des heures à observer les gens. Je regarde ceux qui passent près de moi pour jeter distraitement une carte postale dans la boîte aux lettres jaune à côté de laquelle je me suis assise. Je ne sais pas pourquoi j’ai choisi ce banc, justement celui-là. Ma lettre, je n’ai pas besoin de l’envoyer. Tu n’es plus là pour la recevoir. J’ignore même pourquoi je prends la peine de l’écrire, de t’adresser ces mots vains qui se perdront avec le temps comme l’écume avec le ressac des vagues.

J’aimerais qu’un visage s’illumine à mon arrivée à l’aéroport. J’aimerais que ce visage, ce soit le tien. J’ai beau savoir, j’ai beau savoir au plus profond de ma chair, je ne peux m’empêcher de le chercher parmi la foule, de tressaillir lorsqu’une ressemblance me surprend. Lorsqu’une silhouette se profile qui pourrait être la tienne. Ça ne dure qu’un instant, une demi-seconde d’espoir insensé. Puis la silhouette se retourne et ce n’est pas toi. Je peux alors sentir le vent s’engouffrer dans le trou béant que ton départ a laissé dans ma poitrine. Il me faut souvent quelques secondes pour reprendre mes esprits. Plusieurs heures pour reprendre mon souffle. Je m’assois sur un banc, près d’une boîte aux lettres, dans un aéroport. Je regarde les gens. J’imagine leur vie. J’essaie de ne pas penser à la nôtre.

[Premiers paragraphes de ce roman précipité, L’écume du vent, que j’ai proposé pour le Prix Nouveau Talent et dont je parlais ici]

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Prix Nouveau Talent. Premier roman. L’heure du bilan.

Le 30 septembre 2013. 23h57. Je relis une dernière fois le contenu de mon message. Vérifie la présence du petit trombone signalant la pièce jointe. Le nom du fichier attaché. Tout est en ordre. Je clique sur « Envoyer ». Je peux enfin laisser échapper un soupire de soulagement.

Je l’ai fait. J’ai rempli mon contrat. J’ai envoyé un manuscrit pour participer au Prix Nouveau Talent. Et jusque dans les derniers temps, je n’ai pas été sûre d’y parvenir.

Dure, la vie d’écrivain…

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Rencontre avec Roger Grenier : « Des vies, une oeuvre »

Vendredi 18 octobre 2013

de 14h30 à 16h

 

Roger Grenier : des vies, une œuvre

Nouvelliste, romancier, essayiste, éditeur et journaliste

Né en 1919, Roger Grenier est un acteur et un témoin privilégié du milieu littéraire du XXe siècle, un de ces hommes, pour le paraphraser, « qui vous font faire des remontées dans le temps à donner le vertige ». Membre du prestigieux comité de lecture des éditions Gallimard, il a côtoyé entre autres Camus, Gary, Hemingway ou Queneau.

Roger Grenier a publié plus de cinquante ouvrages souvent récompensés par de grands prix littéraires : le prix Femina (Ciné-roman, 1972), le Grand prix de la littérature de l’Académie Française en 1985 pour l’ensemble de son œuvre et le prix Novembre (Regardez la neige qui tombe, 1992) pour n’en citer que quelques-uns. Son dernier ouvrage, un recueil de nouvelles intitulé Brefs récits pour une longue histoire, est paru en 2012.

Entrée libre et gratuite, dans la limite des places disponibles.

Rencontre proposée par Julien Roumette, enseignant à l’Université Toulouse II Le Mirail et animée par les étudiants du Master des Métiers de l’écriture et de la création littéraire.

Librairie Etudes Mirail La Fabrique
Université Toulouse II-le Mirail – 5 allées Antonio Machado – 31058 Toulouse
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