En cette matinée du 3 novembre, Sylvie Germain, petite mine mais regard acéré, était à la librairie Ombres Blanches pour présenter son dernier livre, Petites scènes capitales, et rendre hommage à J. B. Pontalis dans le cadre du Marathon d’automne.
Impressions d’un dimanche avec Sylvie Germain.
Sylvie Germain et l’Autre
En janvier 1989, J. B. Pontalis fonde chez Gallimard une collection qui cherche à dévoiler « les vies des autres telles que la mémoire des uns les invente ». Cette très belle collection, c’est L’un et l’autre, aux titres de laquelle figurent plusieurs ouvrages de Sylvie Germain : La Pleurante des rues de Prague (1992), Céphalophores (1997) et Les Personnages (2004).
Cette collection, où l’autre peut-être un inconnu, un objet, un animal (le chien, dans Les Larmes d’Ulysse, de Roger Grenier), voire une œuvre, mais plus souvent une figure du passé, un modèle, une inspiration, cette collection donc, qui offre une vraie liberté de sujet, est, pour Sylvie Germain « un très beau cadeau fait aux auteurs ». Elle ajoute : « Sans cette collection, ces livres, je ne les aurais sans doute jamais écrits ». Chaque titre de L’un et l’autre, elle le décrit comme un « exercice de gratitude, sans doute sa plus belle dimension ».
La Pleurante des rues de Prague
De sa première contribution à la collection de Pontalis, Sylvie Germain retient le titre, le problème de traduction qu’il pose : si l’on connaît « pleureuse » ou « pleurant », le terme de « pleurante » est quant à lui absent de bien des langues. La traduction opte donc souvent pour « pleureuse », qui n’est pas toujours très bien connotée. Sylvie Germain semble lui préférer le pleurant de la sculpture : « J’aime le participe présent. C’est quelque chose qui reste actif ».
La Pleurante des rues de Prague, c’est aussi « l’un des livres les plus représentatifs de comment fonctionne la “fabrique de l’imaginaire” », de cette persistance dans la pensée de certaines images dont on ne connaît pas nécessairement le sens. Cette « fabrique », elle en parle aussi dans Les Personnages, de « comment ils adviennent sans qu’on sache trop ce qu’ils nous veulent et comment l’histoire se construit autour d’eux qui nous échappent toujours un peu ».
Ainsi, « on écrit pour donner voix à cette altérité que l’on porte en soi. La collection L’un et l’autre est idéal pour cela ».
Le céphalophore est ce saint décapité qui poursuit sa procession, sa tête entre les mains. L’image séduit Sylvie Germain qui s’amuse alors des nombreuses expressions langagières dans ce registre : perdre la tête, avoir la tête ailleurs… Elle s’amuse aussi de ce que ce mot, absent du dictionnaire, a plombé les ventes du livre : « Les gens m’ont demandé pourquoi j’avais écrit un livre sur les escargots ».
Puis, de nouveau sérieuse, elle parle de ce qui est, pour elle, « la plus belle image, terrible à la fois » : la tête d’Orphée, roulant dans le fleuve après que son corps eut été déchiqueté par les Ménades, et qui poursuit son chant. « Le chant du véritable poète ne peut jamais s’arrêter. Il continuera, même au bout du souffle, à appeler son Eurydice. »
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