Marta Zaraska est journaliste scientifique. Ses articles sont notamment parus dans le Washington Post, Scientific American, Newsweek et New Scientist. Elle a publié deux romans, contribué à deux ouvrages du National Geographic, voyagé dans plus de 80 pays et vécu dans 6 d’entre eux. Elle a récemment publié Meathooked : The History and Science of Our 2.5-Million-Year Obsession With Meat chez Basic Books. Marta vit actuellement en France.
Du bout des lettres : Pouvez-vous nous dire un mot de votre parcours et de votre rapport à l’écriture ?
Marta Zaraska : J’ai su que je voulais écrire dès l’âge de cinq ans. Les sciences m’intéressaient aussi beaucoup : l’environnement, la biologie, la chimie. J’ai même contacté un éditeur quand j’avais environ neuf ans (mes parents n’étaient pas au courant, autrement, je suis presque sûre qu’ils m’en auraient dissuadée). L’éditeur a refusé ma proposition, bien évidemment, mais il a été très gentil.
Par la suite, je me suis un peu éloignée de ce désir d’écrire : j’ai étudié le droit dans l’idée de devenir avocate, mais je n’ai jamais aimé ça. En parallèle de mes études, j’ai toujours travaillé pour plusieurs journaux et revues et j’ai décroché un poste de reporter au plus grand quotidien de Pologne. J’étais chargée des affaires étrangères. J’ai adoré. J’ai été envoyée au Rwanda, au Cameroun, en République démocratique du Congo ; j’ai interviewé des rebelles somaliens, des représentants du gouvernement soudanais, etc. Mes parents, eux, n’étaient pas aussi enthousiastes. Parfois, je ne leur disais même pas où j’allais. Ils se seraient fait trop de souci. Cependant, c’est très difficile d’écrire dans ce domaine et j’ai progressivement dévié vers le journalisme scientifique (mon autre passion). J’ai déménagé au Canada avec mon mari et me suis lancée en indépendante.
Au début, j’écrivais uniquement en polonais, ma langue maternelle. Mais les tarifs étaient vraiment bas pour pouvoir vivre hors de Pologne et payer les factures en dollars (puis en euros quand nous nous sommes installés en France). C’est pourquoi j’ai décidé d’écrire en anglais pour des revues et journaux américains. Avec mon mari (qui est aussi polonais), nous avons commencé à parler anglais à la maison : si je voulais écrire en anglais, je devais me mettre à penser en priorité dans cette langue. C’était très bizarre au début. Mais nous nous sommes habitués au bout d’un mois environ. Ce qui m’a aidée à rester motivée, c’était de savoir que Joseph Conrad (dont le véritable nom est Józef Korzeniowski) a commencé à apprendre l’anglais la vingtaine passée seulement. Et il a toujours eu un horrible accent polonais, même après avoir écrit Au cœur des ténèbres et avoir été reconnu comme l’un des plus grands écrivains de langue anglaise. Je me disais que s’il avait pu atteindre ce niveau d’excellence, je serais au moins capable d’écrire des articles scientifiques dans un anglais à peu près convenable.
DBDL : N’ayant pas fait d’études scientifiques, comment vous êtes-vous formée (et continuez-vous de vous former) dans ce domaine ?
M. Z. : Simplement en lisant, lisant et lisant encore. À l’heure actuelle, j’ai déjà lu des milliers d’articles dans les domaines sur lesquels j’écris. Je vais toujours chercher l’information à la source : dans les meilleures revues scientifiques. Et j’interviewe des centaines de scientifiques chaque année. S’il y a quelque chose que je ne comprends pas, ils sont généralement très heureux de m’aider.
DBDL : Selon vous, quelles sont les qualités indispensables à un bon journaliste scientifique ?
M. Z. : Pour être un bon journaliste scientifique, il faut être extrêmement minutieux et toujours tout remettre en question.
DBDL : Pourriez-vous décrire le travail de rédaction d’un article scientifique, de l’idée à la publication ?
M. Z. : J’ai toujours plus d’idées que de temps pour écrire dessus. Elles me viennent le plus souvent quand je travaille sur un autre sujet. Je lis quelque chose d’intéressant dans un article ou un scientifique que j’interviewe fait une remarque qui m’interpelle et je me dis : « Tiens, ça vaudrait le coup de creuser ». Alors j’écris une proposition au rédacteur en chef du journal ou de la revue qui me semble le plus approprié et j’attends la commande (ou le refus, car ça fait aussi partie du quotidien des journalistes indépendants).
DBDL : À quoi ressemblent vos journées ?
M. Z. : Mon quotidien est assez routinier. J’ai une petite fille de quatre ans, alors je travaille quand elle est à l’école. Je commence ma journée de travail à 8 h 30 et je termine au moment d’aller la chercher, à 16 h 30. Je travaille chez moi le plus souvent, parfois à la bibliothèque. Je commence par répondre aux mails et m’occuper des tâches administratives (envoyer les factures, signer les contrats, etc.). Puis je fais des recherches, lis la presse scientifique, réalise des entretiens et les retranscris, écris les articles qu’on m’a commandés. C’est principalement un travail de bureau.
DBDL : Qu’est-ce que vous préférez dans ce travail ? Qu’est-ce que vous aimez le moins ?
M. Z. : Je n’aime pas l’imprévisibilité de mes revenus. Je peux avoir de très bons mois, et d’autres moins bons. Il y a des hauts et des bas. Mais j’adore discuter avec tous ces gens brillants à propos de leur travail et écrire sur des sujets qui me fascinent, aller à la source même de l’information.
DBDL : Vous avez récemment publié un livre, Meathooked (Basic Books), sur notre obsession pour la viande. En quoi écrire ce livre était-il différent de votre travail sur des articles scientifiques ?
M. Z. : Écrire Meathooked n’était pas si différent de travailler sur un article. C’était simplement beaucoup, beaucoup plus long. J’ai reçu une avance de mon éditeur, ce qui veut dire que, pour une fois, j’avais un revenu prévisible. Comme si j’étais salariée. J’ai vraiment apprécié d’avoir une année entière pour travailler sur ce projet, pour étudier le sujet en profondeur, lire toutes ces études et tous ces livres passionnants. J’ai aussi fait des voyages incroyables. En travaillant sur Meathooked, j’ai eu l’opportunité de visiter un labo aux Pays-Bas où l’on cultive de la viande in vitro, de tenir entre mes mains un os d’éléphant vieux d’un million d’années, de manger des insectes et de visiter un temple vaudou en Afrique.
DBDL : Pour finir, auriez-vous des ressources à recommander aux aspirants journalistes scientifiques et/ou un conseil à leur donner ?
M. Z. : Je recommande deux ouvrages (en anglais) pour écrire de la non-fiction : Make A REAL LIVING as a Freelance Writer, de Jenna Glatzer (Nomad Press), et Freelancing for Newspapers, de Sue Falgade Lick (Quill Driver Books).
Ne lâchez pas, accrochez-vous. Écrivez sur un sujet qui vous passionne. Et ne vous laissez pas abattre par les refus. Ils font partie de la vie de tous ceux qui écrivent.
Propos recueillis et traduits de l’anglais par Catherine Derieux.