[Divers]

Un dimanche avec Sylvie Germain (3/4)

Le 3 novembre, Sylvie Germain était à la librairie Ombres Blanches. Suite d’une esquisse de compte-rendu. Lire la première partie [ici] et la deuxième [là].

Mise en arrêt

Les Petites scènes capitales de Sylvie Germain, ce sont des scènes tragiques, dramatiques. Mais aussi « des scènes en apparence assez anodines, mais où, soudain, notre attention est requise, on est frappé, on est mis en arrêt ». Des scènes souvent courtes, « décrites sur un mode presque sensoriel ». Notre grand malheur, selon l’auteure, c’est notre incapacité à nous accorder le temps de nous étonner, de pouvoir « nous arrêter sur des trois fois riens », c’est de ne pas donner sa place au pouvoir de l’imagination et de l’étonnement.

« À force d’être familiers, il y a une usure, une sorte de tain sur notre regard. Puis parfois, un détail fait que, soudain, on voit l’autre sous un nouvel éclairage et c’est comme si on le voyait pour la première fois. Il faut se laisser surprendre par l’autre. Un grain de beauté. Une cicatrice. Un cil. Un battement de paupière particulier. La marque du temps sur la peau. Ces moments-là, c’est réaliser qu’être un vivant, c’est être un mortel. C’est être empoigné de l’intérieur. C’est quelque chose que l’on ne formule pas, mais c’est ce qui nous humanise le plus. » C’est ce qui arrive au personnage de Lili, lorsqu’elle jette un nouveau regard sur sa mère adoptive.

Et c’est cela, les petites scènes capitales : l’illustration de comment, peu à peu, les choses se déplacent. Sur un heurt brutal ou sur un effleurement. Elles font avancer un personnage. Ricochent aussi sur les autres.

Quand on lui parle de « moments très poétiques » dans son roman, de références à Rimbaud et à son Sonnet des voyelles, à Baudelaire et ses Correspondances, Sylvie Germain se rétracte doucement, saisit une opportunité de parler d’autre chose. Revient aux mots : « Le plus difficile, c’est quand on veut être très concret. Décrire des couleurs, des odeurs. J’adore les couleurs. Mais très vite, le vocabulaire devient trop technique. Parler des yeux bleus de Prusse ou vert Véronèse… Et pourtant, cela renvoie à une couleur de façon très précise. Certaines personnes ont des yeux couleur tesson de bouteille ou des yeux couleur de bière. C’est magnifique. Mais dit comme ça, ça ne fait pas chic ! » Ainsi, lorsque le peintre regarde les couleurs de sa palette, les mélanges possibles, l’écrivain fait de même, avec les mots, cherchant dans le vocabulaire ce qu’il y a de plus juste, de plus approchant, prenant pour cela certains détours lorsque nécessaire. « Mais ce n’est pas pour ça que je suis un poète », tranche Sylvie Germain. Et l’autre d’insister. Mais elle est ferme et assurée : « On peut avoir une écriture poétique, ce n’est pas cela qui fait de vous un poète ». Car pour Sylvie Germain, qui tient la poésie en si haute estime qu’elle refuse de s’en attribuer ne serait-ce que l’ombre du mérite, le poète est celui dont chaque phrase même est une petite scène capitale. Celui qui nous rend enfin disponibles à l’étonnement. Celui dont « parfois deux ou trois mots qui ont l’air de rien, posés là comme de petits cailloux, vous mettent en arrêt ».

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