…ou comment tomber amoureux des langues, d’Alex Taylor
Avec un titre pareil, je n’aurais jamais cru cela possible. Et pourtant, c’est la triste vérité : je n’ai pas aimé ce livre. Je suis certainement l’une des seules dans ce cas car fleurissent sur internet des commentaires élogieux. Je suis, en ce qui me concerne, assez perplexe.
Dans Bouche bée, tout ouïe, Alex Taylor s’intéresse aux langues dans ce qu’elles ont d’intraduisible, dans leurs particularités les plus surprenantes et incongrues. L’ouvrage rassemble ainsi une collection d’exemples et d’anecdotes, organisée de manière assez chaotique et arbitraire comme en témoigne les titres des sous-chapitres : « Des papillons, du paprika et du sang des Taureaux », « De perruques, de Pluton et des riches qui puent », « Des gnous, des gays et des moustachus » ou encore « Du dumping, des pressings et du crash ».
À cela s’ajoute de nombreuses coquilles (en français comme dans les langues évoquées, « suki desi » au lieu de « suki desu » en japonais, par exemple) et fautes de frappes, ainsi que quelques tournures maladroites. L’auteur est Britannique et écrit en français, j’en conviens, mais cela ne dispense pas d’une relecture. On peut d’ailleurs se poser quelques questions à ce propos lorsqu’on jette un œil à la quatrième de couverture où on nous annonce que « les Néerlandais ne font pas de sourires, mais des “rires luisants” », ce qui est une idiotie. On retrouve d’ailleurs l’exemple dans l’ouvrage où l’auteur nous parle plus justement de leurs « lumineux “rires silencieux” » ! Tous ces « détails », qui ont néanmoins leur importance, me font quelque peu douter du sérieux de l’ouvrage.
Taylor convoque également des langues dont je dois avouer ne jamais avoir entendu parler. Il jette ainsi ses anecdotes qui se veulent croustillantes, mais, le plus souvent, on ne sait rien de ces idiomes mystérieux : où sont-ils parlés, par qui, dans quelle mesure ? Si on apprend certes une multitude de choses (il faut au moins reconnaître ça), le véritable curieux restera, à mon sens, quelque peu sur sa faim.
Plus dommage encore, Bouche bée, tout ouïe manque, je trouve, de profondeur, d’une étude plus poussée. Si le livre est traversé par l’idée que la langue et la culture sont intrinsèquement liées, que la seconde façonne la première, il se contente le plus souvent des exemples linguistiques sans donner le contexte culturel qui les éclaire. Il évoque par exemple le fait que les Japonais ne conçoivent pas l’eau comme nous et qu’ils ont par conséquent un mot différent pour l’eau chaude, l’eau froide, etc. Mais à aucun moment il n’explique pourquoi. En choisissant peut-être de présenter moins d’exemples mais de les creuser davantage, ce livre aurait sûrement pu gagner en qualité.
Enfin, l’auteur se présente comme un amoureux des langues, mais je trouve que son livre ne reflète pas tellement cette image. Certes, il s’étonne de toutes leurs curiosités, mais il ne cesse de présenter l’apprentissage des langues comme « difficile » (p205), de se concentrer sur leurs difficultés. Il explique que certains aspects grammaticaux du russe l’ont poussé à arrêter de l’étudier (« life is too short » !), pourquoi il ne lui viendrait jamais à l’esprit d’apprendre le bulgare… En tant qu’aspirante polyglotte, j’ai trouvé ce livre plutôt déprimant et décourageant ! Surtout en comparaison avec celui de Barry Farber qui s’évertue à montrer qu’apprendre une langue est facile. Et la façon dont Taylor parle de la traduction et de l’interprétation m’a parfois fait grincer des dents. Il reconnaît certes la difficulté de la tâche mais ne me semble pas non plus donner une image très positive de la profession.
« Pour rien au monde j’aimerais faire le travail des traducteurs, et encore moins celui des interprètes que je croise sans cesse dans les conventions multilingues. Leur travail me paraît une suite interminable de corvées aussi difficiles qu’ingrates. Ils sont enfermés pendant des heures dans des cages insonores, ces fameuses cabines “son” me paraissent aussi sympathiques que les grands terminaux anonymes des aéroports parcourus par des gens qui n’ont qu’une envie : être ailleurs ! » (p252-253)
Pire encore, p110 :
« Dans un monde idéal habité par des traducteurs-robots, une seule et même chose aurait un mot spécifique et différent dans chaque langue ».
Et ça se dit amoureux des langues ? Autant dire que j’ai failli ne jamais arriver à la page 111…
Pourquoi alors tant de personnes semblent avoir plus qu’apprécié Bouche bée, tout ouïe ? J’ai déjà reconnu qu’on y apprenait pas mal de faits amusants ou surprenants sur des langues aussi variées que l’anglais, le japonais, le !Xu ou le zulu. Je pense que le ton employé (qui se veut drôle, décontracté) y est aussi pour beaucoup, même si, personnellement, je n’y ai pas été sensible. Enfin, entre les chapitres, se glissent des portraits de personnes vivants entre plusieurs langues. D’Alexandra, l’américano-russe avec ses mots « radioactifs » à Fernando, le polyglotte qui parle seize langues, ces intermèdes sont probablement les passages les plus savoureux de tout le livre !