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Un roman de bleu, de laine et de congères

Ces instants-là, de Herbjørg Wassmo

[Le résumé]

CVT_Ces-instants-la_6533Publié chez les belles éditions Gaïa et brillamment traduit du norvégien par Céline Romand-Monnier, Ces Instants-là est un roman de bleu, de laine et de congères. Peuplé de goélands et de sorbiers.

C’est un récit composé de chapitres courts. De phrases courtes. Émaillé d’une ponctuation où le point domine. Telle la caresse d’un pinceau traçant des impressions, le récit semble en pointillés. Un silence entre chaque point, un espace au creux duquel il revient au lecteur de se glisser. Pour les relier.

L’absence de noms, de détermination, fait des personnages des silhouettes floues, sans visage, dans lesquelles le lecteur peut s’introduire, comme ces décors peints de fêtes foraines où passer la tête. Dans ce récit à la troisième personne, pourtant découpé dans l’étoffe même de l’intime, les personnages ne sont pas seulement privés de nom, mais souvent aussi de pronoms personnels. Sont faits de phrases tronquées. Le personnage principal surtout. Mais peu à peu, son « je », le « elle » semble revenir, réinvestir les pages, signe que cette héroïne discrète dont nous partageons les pensées s’affirme, que sa voix s’affermit.

Herbjørg Wassmo semble vivre avec aisance au milieu des fantômes, comme en témoignent par exemple les dialogues de son personnage avec Simone de Beauvoir. L’auteure raconte même [ici], à propos d’un autre ouvrage, mais avec la même évidence, qu’elle a invité à sa table sa mère et sa grand-mère — toutes deux disparues — et qu’elles ont bu du vin ensemble.

Dans le livre, surgissant sans annonce, les rêves de l’héroïne déposent comme un filtre fantastique, feuilles de papier calque qui apâlissent les couleurs et troublent l’image. Troublent le lecteur aussi. Wassmo est loin de lui proposer un texte, une intrigue limpides. Ce n’est pas là ce qu’on appelle un livre « facile ». Il faut sans faillir être à l’écoute de cette voix qui chuchote. Mais le talent de l’auteure réside dans ce courant chaud qui nous porte au fil des pages malgré la déroute, qu’elle soit passagère ou plus profonde.

J’écris ce que le jour a à offrir.

Et si le jour cache ce qu’il a, il faut qu’elle fouille. Fouille profondément. (p. 232)

La langue de Wassmo est pure, ample. S’y égrainent de jolies trouvailles (les vêtements qu’on épluche ; « l’hiver est laine mouillée », où l’absence d’article fait poésie). Elle tisse ensemble frêles bonheurs et amères désillusions, esquisse avec tendresse, mais sans concession, le parcours, la vie d’un écrivain.

La solitude rend le coût évident. On ne peut pas jouer à la littérature. C’est la vie et la mort. (p. 234)

Lu dans le cadre des Matchs de la Rentrée Littéraire (#MRL2014). Merci à Price Minister-Rakuten pour cette belle découverte.

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3 thoughts on “Un roman de bleu, de laine et de congères

    • cathymini says:

      Merci beaucoup Alice :)
      J’ai découvert Wassmo avec ce roman et je suis totalement séduite. Je compte bien lire le reste de son oeuvre, j’ai déjà trouvé le fameux « livre de Dina » sous le sapin, il me tarde de m’y mettre.

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