« Faire un tour de table pour se présenter alors qu’on est là pour écrire, c’est absurde. Je vous laisse quelques minutes pour rédiger un texte sur deux ou trois choses que vous avez envie de dire de vous. Pour qu’on apprenne à se connaître ».
Douze regards paniqués. Nous sommes là depuis quoi ? Même pas trente minutes (le temps de présenter nos livres préférés, à présent éparpillés au milieu de la table) ? Et on nous jette déjà dans le grand bain, sans bouée ni flotteur.
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Ce matin, je me suis réveillée dans un grand sursaut. À 7h52. À l’heure prévue. Événement suffisamment rare pour être souligné. Je ne me réveille jamais avant dix heures sans l’aide insistante d’un réveil. Or, ce matin, le réveil n’a pas sonné. Pas étonnant puisque j’ai tout bonnement oublié de le programmer. Voilà, il n’est pas 8h et j’ai déjà envie de me donner des claques.
Après avoir loupé mon train, très légèrement angoissé à l’idée d’arriver en retard, couru comme une dératée sur divers quais de train et de métro et pris le boulevard Haussmann dans le mauvais sens, j’arrive au siège du Figaro à 9h59, essoufflée mais victorieuse.
Car aujourd’hui n’est pas un jour comme les autres. En ce jeudi 21 mars 2013 s’ouvre la seconde édition du Labo de l’Écriture* animé par l’écrivain Bruno Tessarech. Et, à ma grande surprise, j’ai été sélectionnée pour y participer.
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Face à ma page blanche, je soupire.
– Je ne sais même pas comment commencer…
– Écrivez n’importe quoi, vous raierez ensuite. N’importe quoi : « il est 10h40 » ou « Soudain, la pendule du salon sonna trois heures », comme faisait Cocteau.
Je le prends aux mots.
« Soudain, la pendule du salon sonna trois heures.
Voilà, la première phrase est posée. Je suis censée la rayer par la suite. Mais je ne suis pas sûre d’en avoir envie. »
Et me voilà partie…
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Lorsque vient le moment de lire nos écrits, les regards paniqués refont surface. On se dit encore, dans un coin de notre tête, qu’on est peut-être là suite à une erreur de casting, qu’on n’a rien à faire ici. Alors, forcément, on n’a pas très envie d’être démasqué tout de suite. Pour nous aider, Bruno Tessarech nous demande alors de lire une phrase ou un passage de notre texte que l’on aime bien. Étonnamment, cet extrait, s’il ne l’est pas déjà, devrait bien souvent être le début du texte. « Le texte doit commencer là où il doit commencer. C’est lui qui choisit. Il commence à un moment d’intensité. » Tant et si bien que l’on peut souvent supprimer la première phrase d’un texte, voire la deuxième et même la troisième.
Peu à peu, on s’enhardit et on se lance dans la lecture de son texte, la voix mal assurée, la main légèrement tremblante. On ne raconte pas vraiment sa vie. « Je m’appelle untel, j’ai trente-deux ans et deux enfants ». Non, les portraits se dessinent plutôt en creux, ici plus que jamais, dans ce qui n’est pas dit. Mais on voit déjà poindre des univers, des personnalités bien ancrées malgré, pour beaucoup, une certaine réserve ou timidité.
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Aujourd’hui rassemblés dans la salle vitrée du niveau – 1 du siège du Figaro : une juriste, une journaliste, un ancien banquier, une traductrice, un ingénieur agronome, une rédactrice web ancienne marketeuse chez L’Oréal, etc. A priori, nous n’avons rien en commun et nous n’étions pas destinés à nous rencontrer. Pourtant en quelques heures à peine, une affinité s’est créée, née de cette même envie, de ce même amour de l’écriture. La matinée a filé, et on ne pense déjà plus qu’à se retrouver et à recommencer demain.
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Le conseil du jour :
« La première phrase d’un texte dit souvent quelque chose que l’on redit après, en mieux. »
Essayez de la supprimer pour voir si votre récit ne gagne pas d’un coup en intensité.
La citation du jour :
« L’essence de la littérature, c’est quand la vie s’arrête et qu’on ne peut pas sortir du livre. La littérature prouve alors qu’elle est plus forte que l’amour, la vie et la mort. » Bruno Tessarech
Bonus :
Extrait de « L’immense famille de la lecture » dans De très bons livres (Françoise Sagan) publié aux Éditions de L’Herne.
Ou bien, je suis allongée sur une plage, la mer se tait presque sous le soleil, j’étends le bras, je prends un livre empli de sable, je l’ouvre : « Après le déluge. Dans la grande maison de vitres encore ruisselantes, les enfants en deuil… » Rimbaud… Je ferme les yeux. Entre le rayon orange qui perce ma paupière et mon œil s’intercalent une maison de verre, la mèche de cheveux d’un orphelin, la pluie. Je rêve. Je suis comblée.
Ou bien, je rentre à la maison, je suis triste. Je viens de quitter quelqu’un dans un café, nous ne nous sommes pas compris. Je m’assieds dans un fauteuil, je regarde mes mains. Je ramasse un livre sur une table, j’ouvre au hasard : « … dit la Duchesse. Et Dieu sait ce qu’il a pu être ennuyeux. Il ne serait pas plus stupide qu’un autre, s’il avait eu, comme tant de gens du monde, l’intelligence de savoir rester bête… » Je me mets à rire, je me laisse aller dans mon fauteuil, je suis Marcel Proust à la trace, je suis consolée.
Ou bien, je suis assise à une table, agitée. Je ne sais pas très bien ce que je fais là. On parle de signes astrologiques, j’ai envie de bâiller. Je me demande tout à coup qui a pu tuer la vamp dans le Hadley Chase que j’ai dû abandonner pour ce dîner. Et si c’était son impresario ? Ou le type aux yeux pâles qui ne la regardait jamais ? En tout cas voilà trois nuits que le détective n’a pas dormi… il est têtu. Ce doit être un Bélier. Et elle, la pauvre vamp, de quel signe était-elle ? Je m’ennuie moins, tout à coup. Je suis distraite. Je suis sauvée.
Ou c’est dimanche, il fait froid, je n’ai envie de voir personne mais la longue journée étale à venir me paraît comblée d’avance car j’ai un livre à lire de quelqu’un que j’aime lire. Ou je suis en voyage et je passe sans le voir devant un superbe panorama car j’ai le nez dans un livre. Ou il est quatre heures du matin, je dois me lever tôt mais je n’arrive pas à fermer mon livre, car dans le beige, le silence, la solitude de l’aube, la voix de l’auteur me parvient, me retient, je l’écoute et nous restons les seuls êtres vivants à chuchoter dans cette ville morte.
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*Le Labo de l’Écriture est une initiative de la Fondation Bouygues Telecom (en partenariat cette année avec Evene.fr – Le Figaro) qui s’est donné pour mission de promouvoir la langue française, d’encourager la création littéraire et d’accompagner les aspirants auteurs.
Plus d’information sur le site Les Nouveaux Talents.
Le récit d’une autre participante : [Sophie]
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