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Gilles Paris : « Écrire relève de la magie »

SONY DSCGilles Paris est l’auteur de quatre romans : Papa et Maman sont morts (Seuil, 1991), Autobiographie d’une courgette (Plon, 2001), Au pays des kangourous (Don Quichotte, 2012) et tout récemment L’été des lucioles (Héloïse d’Ormesson), qui rencontre un joli succès.

J’ai pu interviewer Gilles Paris lors du Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain. Il a eu la gentillesse de partager avec moi quelques conseils d’écriture.

Quand avez-vous commencé à écrire ?

J’ai commencé à écrire à l’âge de 12 ans. Des nouvelles, des textes courts. Ça me plaisait beaucoup de raconter une histoire en peu de mots, peu de pages. J’ai écrit pas loin d’une centaine de nouvelles que j’ai longtemps laissées dans un carton. Quand j’ai commencé à réfléchir à l’idée de les faire publier, des éditeurs m’ont dit qu’il était difficile de publier des nouvelles, mais qu’il y avait un vrai ton dans mes textes et que je devrais les retravailler pour en faire des romans. C’est comme ça que sont nés mes deux premiers romans : tirés de nouvelles que j’avais écrites vers l’âge de quinze ans.

Comment s’est passée la publication de votre premier roman ?

Quand on écrit des nouvelles pendant un certain nombre d’années, on pense — peut-être à tort — qu’on n’a pas le souffle nécessaire pour un roman. Quand j’ai commencé à retravailler une de mes nouvelles pour en faire un roman, j’ai repris le texte et ai commencé par en faire un chapitre. Je l’ai soumis à Jean-Marc Roberts, mon premier éditeur. Il a été formidable et m’a vraiment encouragé. Tous les lundis, je lui apportais vingt pages et j’avais un coup de fil de sa part l’après-midi même. Au bout de cinq semaines, il m’a dit : « Tu n’as plus besoin de m’apporter tes vingt pages, je sais que tu finiras ton roman et je l’attends quand il sera terminé ». L’entrée en matière dans le monde de l’édition s’est donc faite tout en douceur et à partir de textes que j’avais commencé à écrire très tôt.

Avez-vous des rituels d’écriture ?

Oui, car j’ai un métier très accaparant. J’adore le côté « clean » de l’ordinateur, j’ai toujours une bouteille d’eau près de moi, et une tablette de chocolat. Je fume comme un pompier, mais ça, ce n’est pas un conseil ! J’aime bien écrire au bord de la mer : ça m’adoucit, ça m’inspire et ça me fait du bien. Mais je peux en fait écrire n’importe où : chez moi à Paris, à la campagne, chez un ami, à l’étranger. Dans ce sens-là, je n’ai pas de rituel. En revanche, j’écoute de la musique, beaucoup de musique quand j’écris, mais pas quand je travaille. J’écris de nombreux passages en musique donc j’emporte toujours pas mal d’albums…

Qu’est-ce que vous écoutez comme type de musique ?

De la musique contemporaine. Dernièrement, j’ai beaucoup travaillé sur un album de Goldfrapp que j’ai trouvé formidable. J’écoute des morceaux qui m’inspirent, qui apportent une certaine émotion. Je me considère plutôt comme un passeur d’émotion, la musique vient nourrir des passages particuliers de mes livres.

Dans vos romans, les narrateurs sont des enfants. Qu’est-ce que cela implique au niveau de l’écriture ?

C’est une écriture que j’ai démarrée très tôt. Déjà à douze ans, j’entrais dans la peau d’un enfant de neuf ans. C’est ce qui a plu ensuite à Jean-Marc Roberts. Cela fait plus de quarante ans que j’écris ainsi. On me demande souvent si c’est difficile, mais en fait, ce qui serait difficile pour moi aujourd’hui, ce serait d’écrire avec la voix d’un adulte.

Il faut vraiment que ça vienne de l’intérieur. Pendant toute la période d’écriture, je deviens un enfant de neuf ans. Je parle comme lui, je réfléchis comme lui. Je n’essaie pas de lui ressembler parce que ça, ça ne marche pas. J’essaie d’être le plus proche possible de son vocabulaire. C’est un âge très complexe parce que l’enfant peut parfois parler avec des phrases un peu bébêtes et, tout d’un coup, sortir une phrase incroyablement adulte. C’est une langue qui mue, qui n’est pas évidente à comprendre. Et un enfant qui avait neuf ans il y a vingt ans, quand j’ai publié mon premier roman, n’est plus vraiment le même qu’un enfant qui a neuf ans aujourd’hui. Il faut donc évoluer à travers tout cela et c’est très intéressant.

Pour Au pays des kangourous, j’ai passé plusieurs après-midis avec le fils d’une amie photographe à jouer à la console, à la PlayStation. Je n’y avais jamais joué et cela m’a permis de comprendre l’engouement des enfants pour ces jeux. C’est ça, « devenir un enfant » : aller jusqu’au bout pour comprendre. Parce qu’à neuf ans, on ne juge pas, on essaie de comprendre.

Jouer à la console, c’est plutôt chouette comme travail de recherche…

Oui dans ce cas-là. Mais pour L’autobiographie d’une courgette, j’ai passé beaucoup de temps dans une maison d’accueil. J’ai enquêté pendant un an, rencontré des éducateurs, des psychologues, des juges pour enfants. Le prochain roman, ce sera dans une maison de retraite.

Ce sera encore avec un enfant ?

Oui. Il fera la lecture aux personnes âgées. Je vais justement commencer à faire tout le travail de recherche, choisir ma maison de retraite, aller voir comment ça fonctionne au quotidien, rencontrer les gens, discuter avec eux pour nourrir vraiment le roman de l’intérieur.

Tout ce matériau récolté pendant vos périodes de recherche, comment l’intégrez-vous au roman ?

Je l’intègre le plus naturellement possible : il doit faire partie intégrante du roman. Dans L’été des lucioles, situé dans le sud de la France, le décor existe vraiment. J’y suis allé plusieurs fois, j’ai fait des centaines de photos, visionné plusieurs films qui ont été tournés sur place. Je m’imprègne littéralement de tout cela pour nourrir le roman. Ça vient assez naturellement puisqu’écrire relève vraiment de la magie. Je trouve incroyable de se mettre devant un ordinateur et que les phrases se mettent à couler naturellement.

Y a-t-il un conseil d’écriture que vous avez reçu et que vous pourriez transmettre aux écrivains en herbe ?

Je n’ai pas reçu de conseil dans l’édition et je suis moi-même entré dans ce milieu il y a trente ans. Plutôt que de m’aider, c’est quelque chose qui m’a bloqué. Je voyais tous ces écrivains autour de moi et comme beaucoup de monde, je me disais : « Pourquoi moi ? Pourquoi un texte de plus ? » Je pense que j’ai compris avec le temps — il m’a fallu beaucoup pour comprendre qu’il faut créer sa propre musique, son propre univers — qu’il ne faut pas se soucier des autres, ne pas se raccrocher à tel ou tel auteur, ne pas s’en inspirer non plus. Très souvent, quand on me demande si je suis entré dans l’écriture grâce à un livre en particulier, je réponds que c’est la vie qui m’a nourri, pas les livres.

Le meilleur conseil que je pourrais donner aux gens qui souhaitent écrire, le conseil qui est pour moi le plus important, même en tant qu’auteur, c’est que le plus difficile, ce n’est pas d’écrire, mais de travailler son texte. Il me semble qu’aujourd’hui, le monde de l’édition est fait de telle manière qu’avant d’envoyer son texte à un éditeur, il faut le travailler sans relâche. Mettez-y tout ce que vous avez dans les tripes, toute votre âme, toute votre émotion. Ne vous laissez pas aller à la facilité. Travaillez votre langue, votre vocabulaire, vos mots. Il n’y a pas de recette miracle pour obtenir la reconnaissance des lecteurs. En revanche, je suis convaincu qu’un éditeur ne peut pas donner plusieurs chances à un livre. Si l’auteur, dans sa hâte de vouloir publier, rend son texte trop tôt, c’est dommage, parce que s’il avait attendu juste six mois de plus, s’il l’avait travaillé davantage, il aurait peut-être eu plus de chances que l’éditeur le repère au milieu des 3000 manuscrits qu’il reçoit chaque année.

Un autre conseil que je pourrai donner, c’est de ne pas faire trop lire son texte autour de soi. Plus on le fait lire, plus on a d’avis et c’est perturbant. La personne la plus à même de vous faire des retours est une personne dont c’est le métier. Je ne suis pas sûr que les copains, la famille, le conjoint, le frère, la sœur soient vos meilleurs lecteurs, même s’ils peuvent être très bons lecteurs par ailleurs. Ils vous connaissent trop pour être de bons juges. La personne la plus adéquate pour avoir un regard sur votre texte, c’est l’éditeur. On est seul, il faut le savoir. Jusqu’au moment où on donne le texte à un éditeur, on est seul.

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