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Les Apprentis Polyglottes #9 : Retourner à l’école

Il est 19h45. Ouf, je suis à l’heure. J’ai dû courir en raison d’un problème technique dans le métro. Un peu essoufflée, je descends les escaliers de l’Institut suédois et me dirige vers une salle aux murs de pierres brutes, ornés de longues étagères couvertes de livres.

J’adresse un « Hej » timide aux personnes présentes dans la pièce.

« Vahéteurdu ? » m’interroge une femme élancée, de fines lunettes posées sur son nez pointu.

Je lui jette un regard paniqué. Elle répète :

« Vad heter du ? Comment t’appelles-tu ? »

Je bredouille « Jag heter Cathy »

 

Mon tout premier cours de suédois… Après avoir feuilleté quelques méthodes de langue dans mon coin, être allée jeter un œil au pays, puis avoir arrêté de pratiquer malgré moi pendant trop longtemps, j’ai décidé de sauter le pas. C’était mardi soir.

L’air de rien, ça fait presque un an et demi que j’ai décidé d’apprendre le suédois. Lorsque j’ai réalisé cela, ça m’a tout de même fait un choc. Un an et demi ! C’est le temps qu’il a fallu à Katzumoto pour maîtriser le japonais… J’essaie de me rassurer comme je peux : entre temps, j’ai passé six mois en Australie, c’était vraiment trop compliqué d’apprendre le suédois là-bas. Et puis, je n’étais pas décidée à 100%, je faisais cela en dilettante, pour rigoler… Et Katzumoto, lui, c’est un fou. Il fait ça 24h sur 24h.

Mais j’ai beau trouver toutes les excuses que je veux, ça ne fera jamais taire cette petite voix dans ma tête. Celle qui me reproche de me disperser. De ne pas m’investir autant que je le devrais dans mon apprentissage des langues. D’avoir toujours un niveau aussi médiocre en suédois après un an et demi. Finalement, j’en arrive même à me demander si je suis capable d’apprendre une langue étrangère. Et si je n’en suis pas capable, comment est-ce que je me peux me permettre de donner des conseils à d’autres ? Pour qui est-ce que je me prends ? Tout cela n’est finalement qu’une énorme imposture.

Ouch ! Il faut l’avouer : ça fait mal. Personne n’aime se remettre à ce point en question. Personne n’aime se dire qu’il est un imposteur, qu’il a échoué.

Mais… attendez une minute ! Je SAIS apprendre des langues, je l’ai déjà fait. J’ai commencé par le français, ma langue maternelle. Ça n’a pas l’air d’un exploit, tout le monde y arrive, mais tout même. Ce n’est pas aussi simple qu’il y paraît. Et j’ai appris l’anglais. Je considère aujourd’hui avoir un très bon niveau, encore perfectible, c’est certain (de toute façon, il l’est toujours), mais suffisant pour exercer des activités de traductrice de l’anglais vers le français. Si j’ai pu le faire une fois, pourquoi pas deux ?

Tout d’un coup, les choses prennent une tout autre dimension. Je l’ai déjà fait… Alors je peux le refaire. Oui, mais comment j’ai fait la première fois ? Comment est-ce donc que j’ai appris l’anglais ?

À l’école tout d’abord. Depuis le CM1 jusqu’à mes deux années de classe préparatoire. Un bon paquet d’années pour arriver à un niveau que je qualifierais aujourd’hui de médiocre (mais d’un médiocre nettement plus efficace que mon niveau actuel de suédois).

 Puis par moi-même dans un second temps. Mais cette seconde période d’apprentissage m’a été profitable justement parce que c’était la seconde période. L’air de rien, j’avais tout de même des bases essentielles, des réflexes, qui m’ont permis de poursuivre mon apprentissage seule, sans presque m’en rendre compte. Aussi lacunaire et fossilisé soit le savoir que j’ai acquis à l’école, c’est tout de même grâce à lui que j’ai pu regarder des séries télés terriblement mal sous-titrées (puis, lorsque les sous-titres n’étaient pas disponibles, en VO pure). C’est grâce à lui que j’ai pu communiquer en voyage, d’abord avec une certaine raideur, puis avec de plus en plus d’aisance. C’est grâce à ces années de cours d’anglais, encore une fois, que j’ai pu avoir accès à des livres en langue originale qui n’ont jamais été traduits.

Aujourd’hui, on voit beaucoup de blogs et d’apprenants en langues rejeter plus ou moins les formules « académiques ». Je le comprends, je suis d’ailleurs la première à critiquer les méthodes et conditions d’enseignements des langues dans le système éducatif français. Pourtant, je trouve que ces modes d’apprentissage, malgré tous leurs manques et leurs défauts, peuvent finalement nous apporter bien plus que ce que l’on imagine. Je suis tout à fait persuadée qu’on peut apprendre une langue en autodidacte de A à Z. Mais je crois aussi qu’un bagage linguistique « scolaire » nous débroussaille énormément le travail.

C’est pourquoi, aujourd’hui, je retourne à l’école, prête à apprendre des listes de verbes irréguliers, à ânonner des règles de grammaire, à recopier dix fois mes erreurs de dictées… Et prête aussi (et surtout) à travailler sur mes défauts.

Je l’ai dit, je me disperse. Je suis curieuse, j’aime découvrir de nouvelles choses. C’est pareil avec les langues. Mais il faut être honnête avec soi-même : ce n’est pas en travaillant à la fois l’espagnol, le japonais et le suédois que je vais aller quelque part. Je vais devoir me bagarrer avec moi-même et me tenir à mon objectif : le suédois.

Dès mercredi, j’ai été mise à l’épreuve. Entourée de Japonais au théâtre du Châtelet pour un spectacle de kabuki (envoûtant, soit dit en passant), j’ai dû refréner mon envie de me ruer sur mon exemplaire des Kanjis dans la tête.

Le chemin promet d’être long et difficile. Mais il s’annonce aussi délicieux et plein de surprises.

Vi ses snart !

Autre Apprentie Polyglotte : allez soutenir Tiphanya, qui apprend le japonais.

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4 thoughts on “Les Apprentis Polyglottes #9 : Retourner à l’école

  1. Je me retrouve beaucoup dans ce que tu racontes, je partage aussi ton avis sur la critique du système scolaire, car malgré toutes les critiques que j’ai contre, il a le mérite de proposer quelque chose, ce que beaucoup de pays ne font pas.
    J’espère que tes cours te plaisent et vont te faire progresser efficacement.

    • Nouvel élément de réflexion pour toi. Je viens de lire un article (dans le cadre de mon M2) sur l’apprentissage des langues étrangères par les enfants.
      Une étude conclut (pour un public de migrant découvrant la langue du pays d’accueil) :
      « – jusqu’à 7 ans, l’apprentissage naturel est efficace ;
      – au-delà de 7 ans, les apprenants sont favorisés s’il y a un accompagnement
      institutionnel ;
      – seuls les adultes développent des stratégies spécifiques à la situation
      d’apprentissage de la L2. »
      Donc ça ne t’aide pas trop aujourd’hui avec ton suédois, mais cela explique un peu mieux pourquoi l’anglais à l’école ça a marché mais que le modèle n’est pas reproductible maintenant que tu as grandi.

      • cathymini says:

        Je ne suis pas vraiment d’accord avec ta conclusion (je n’ai pas lu l’article donc je me base sur ma propre expérience) :
        Ce n’est pas parce que l’adulte développe des stratégies spécifiques d’apprentissage que l’école ne lui est pas/plus profitable… Au contraire. En tant qu’adulte, on a nettement plus de recul sur ce qu’on nous apprend à l’école. On est conscient et on décèle les manques, les défauts de l’apprentissage académique. Ce qui nous permet de développer ces stratégies spécifiques pour combler les lacunes des cours.
        Mais il me semble en effet que des cours de langue ne sont pas suffisants, il faut absolument multiplier les approches (en gros, travailler beaucoup par soi-même en dehors des cours). L’avantage d’aller « à l’école » en étant adulte est que cela donne une structure, cela permet de mettre un pied à l’étrier. Le problème, c’est que les personnes qui se limitent à leur cours hebdomadaire sont nombreuses et c’est là, à mon avis, le véritable frein.

  2. Pingback: Weekly favorites (Feb 18-24) | Adventures in Freelance Translation

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