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Polyglot: How I learn languages, de Kató Lomb

Kató Lomb (1909-2003) était une traductrice, interprète et linguiste hongroise qui n’a commencé à apprendre les langues étrangères qu’à l’âge adulte (elle en maitrisait 16 à la fin de sa carrière). Elle a étudié l’anglais à l’âge de 34 ans pour des raisons économiques (elle cherchait à travailler comme professeur de langues) puis elle s’est initiée au russe en 1941 et à peine quatre ans plus tard, elle était engagée comme traductrice et interprète au Budapest City Hall.

Polyglot : How I learn languages fut écrit en 1970, traduit en anglais et réédité plusieurs fois depuis (la dernière réédition, celle que j’ai lue, date de 1995). L’auteur y parle de sa propre expérience dans un style agréable et facile à lire, largement ponctué d’anecdotes tant personnelles qu’issues de l’histoire d’autres personnes.

À la lecture des premiers chapitres, j’ai été tout d’abord conquise. Le propos me plaît, correspond à ma propre façon de voir les choses et va même jusqu’à nommer explicitement des idées ou concepts jusqu’alors présents, mais de manière floue, quasi-inconsciente dans mon esprit. Puis, petit à petit, je commence à émettre certaines réserves voire certains désaccords. Ce ne serait pas bien grave si certains propos ne m’avaient pas carrément hérissé le poil. Heureusement, ce n’est pas le plus important dans cet ouvrage qui contient tout de même un certain nombre de choses intéressantes.

À qui s’adresse cet ouvrage ?

Ce livre a avant tout pour objectif « d’augmenter le plaisir d’apprendre et d’en diminuer les difficultés ». Lomb ne rejette pas l’enseignement « classique » des langues, mais propose ici à ceux qui n’en sont pas totalement satisfaits de le compléter. Polyglot : How I learn languages s’adresse à l’« Average Language Learner » (ALL), à l’étudiant moyen, c’est à dire à tous. L’auteur émet cependant deux objections : ceux qui ont trop ou trop peu de temps libre n’ont pas vraiment leur place ici.

À ceux qui ont trop de temps, c’est-à-dire un nombre illimité d’heures à consacrer à l’apprentissage des langues, Kató Lomb recommande de chercher un programme intensif plus adapté. À ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas consacrer en moyenne 10 à 12h par semaine à cette activité (ou au moins de 60 à 90 minutes par jour), l’auteur conseille de réfléchir à deux fois avant de se lancer dans une telle entreprise.

Elle insiste sur l’importance d’un travail régulier, quotidien. Mais elle reconnaît qu’il est difficile pour un adulte, dont la vie est déjà bien remplie par le travail, de mener à bien ces ambitions linguistiques. La solution : « Il faut connecter l’apprentissage d’une langue soit à son travail soit à ses loisirs. Non à leur détriment, mais en complément ».

La méthode de Kató Lomb

1) Se procurer un gros dictionnaire et l’utiliser comme un manuel.

Le but ici n’est pas de mémoriser les mots, mais de les aborder comme des puzzles. La célèbre polyglotte utilise le dictionnaire afin de décoder les règles de lectures, certaines règles de grammaire grâce aux phrases qui mettent en contexte les mots recherchés, le fonctionnement général de la langue. Le dictionnaire sert à glaner des informations, on procède à une première approche de la langue.

2) Acheter un manuel de langue (comportant les réponses aux exercices)

L’auteur conseille de faire les leçons et les exercices puis de noter les corrections au-dessus de ses propres réponses afin de pouvoir les comparer et d’observer ses progrès.

3) Lire des pièces de théâtre ou des nouvelles

L’essentiel de la « méthode Lomb » se résume en un mot : lire ! Elle conseille de se plonger dans la lecture sans se jeter systématiquement sur le dictionnaire qui a tendance à nous rendre feignants, à nous empêcher de réfléchir. Les mots importants reviennent plusieurs fois, il faut essayer de les déduire de leur contexte. C’est en faisant un effort cérébral que l’on apprend et retient le mieux. C’est peut-être plus long, mais bien plus efficace au final, selon l’auteur : « the knowledge you obtain at the expense of some brainwork will be more yours than what you receive ready-made ».

4) Écouter les informations dans la langue étrangère après les avoir d’abord écoutées dans une langue que l’on maitrise (pour connaître à l’avance les grandes lignes).

5) Se trouver un professeur pour parler lentement et surtout pour CORRIGER nos erreurs !

Lomb insiste lourdement sur l’importance de se faire corriger. Il est impératif de mémoriser du contenu linguistique produit par des natifs ou qui ait été corrigé par eux. De même lorsque vous rédigez un texte ou discutez à l’oral dans une langue que vous ne maîtrisez pas encore, il est important de se faire corriger pour ne pas prendre de mauvaises habitudes, pour ne pas enraciner de mauvaises tournures ou des erreurs de grammaire…

Quelques critiques

Il est dommage que l’auteur entre si peu dans les détails en ce qui concerne sa méthode d’apprentissage. Elle en esquisse les grandes lignes, mais cela peut néanmoins laisser perplexe. Tout d’abord, concernant l’usage du dictionnaire. Il me semble que s’il s’agit du premier contact que l’on a avec une langue, il peut être difficile d’en tirer des règles générales à moins d’avoir par ailleurs de solides connaissances en linguistique générale…

J’ai un peu les mêmes réserves concernant la lecture. L’auteur donne l’exemple d’une personne qui a passé un été à lire un livre dans une langue dont elle ne savait rien, sans dictionnaire ou autre outil pour l’y aider. À la fin de l’été, elle avait terminé et grandement apprécié l’ouvrage. De là à nous dire que cette personne maîtrisait désormais une nouvelle langue, on croirait qu’il n’y a qu’un pas. Je suis tout à fait pour pratiquer largement la lecture dans son apprentissage d’une langue étrangère, j’ai d’ailleurs déjà commencé avec le suédois. Mais soyons honnêtes, je ne suis pas encore en mesure de deviner grand-chose du contexte ! Et je me demande bien comment l’auteur est parvenue à apprendre une langue comme le chinois avec cette méthode…

Si globalement les conseils me semblent bons, je suis néanmoins un peu sceptique sur la possibilité de se plonger ainsi directement dans un texte et de réellement en tirer quelque chose dès la première lecture.

Que trouve-t-on d’autre dans ce livre ?

Au fil des pages, Lomb aborde divers sujets (l’histoire de l’apprentissage des langues, les différences entre enfants et adultes face à une langue étrangère) et distille quelques astuces ou conseils. Ces derniers sont assez peu nombreux, mais méritent parfois d’être soulignés.

1) Créer son propre microclimat linguistique

L’auteur ne développe pas tellement cette idée (ou en tout cas la manière de la mettre en oeuvre), mais le terme est suffisamment explicite. Si certaines personnes expatriées depuis des années sont incapables de parler la langue de leur pays d’accueil, c’est tout simplement, car elles continuent de tout faire au quotidien dans leur langue maternelle. Elles lisent dans leur langue maternelle, ne fréquentent que des locuteurs de la même langue que la leur, travaillent sûrement dans un environnement linguistique familier. Autrement dit : elles ont créé un microclimat linguistique leur évitant de se confronter à la langue de leur pays d’accueil. Si cela est possible dans ce sens, l’inverse l’est également. On retrouve cette idée chez Khatzumoto, de All Japanese All The Time (AJATT), c’est d’ailleurs la base de sa méthode d’apprentissage.

2) Pratiquer l’« autologue »

Autrement dit, ne pas hésiter à converser avec soi-même dans une langue étrangère, à générer un dialogue intérieur pour pratiquer l’expression orale dans une langue que l’on apprend. L’auteur déconseille néanmoins de se parler à voix haute afin d’éviter de s’habituer à une éventuelle mauvaise prononciation.

3) Apprendre les mots par paires.

Il y existe ce qu’on appelle des « colocations », c’est-à-dire des mots qui s’articulent naturellement ensemble dans une langue. C’est ce à quoi l’auteur fait référence sans les nommer. Voici quelques exemples : on surmonte un obstacle, on accomplit son devoir, on transmet un message, etc.). On peut aussi apprendre des mots de vocabulaire en les associant à leurs synonymes ou antonymes. Les « filler words » sont également très importants. Il s’agit de ces petits mots de liaison qui vous font gagner du temps à l’oral pour trouver vos mots. C’est toujours plus élégant qu’un long « heu… »

4) 10 choses à faire et 10 choses à ne pas faire

à la fin de l’ouvrage, l’auteur dresse une liste de 10 requêtes et de 10 commandements de l’apprenant en langues. À recopier et à coller sur son frigo !

Ce qui m’a hérissé le poil

Tout d’abord, Lomb se lance par moment dans une étude des différences entre hommes et femmes en ce qui concerne l’apprentissage des langues. Elle énumère ainsi bon nombre de clichés et semble largement s’en satisfaire. Malgré plusieurs grimaces, j’ai décidé de ne pas y prêter trop d’attention et de ne pas m’y attarder plus longtemps ici : l’ouvrage a été écrit il y a plusieurs décennies et surtout, ce n’est pas le propos ni du livre ni de ce blog !

En revanche, j’ai eu plus de difficultés à passer outre certains propos de l’auteur concernant la traduction et l’interprétation. En plus d’une vision assez caricaturale des personnes exerçant ces professions (« An introverted and hesitant individual who is prone to self-criticism may only be suitable fro written translation« , « Only those who don’t suffer from perfectionism should choose this career [l’interprétation]« ), Lomb ne semble pas faire de distinction entre des compétences en langue(s) et des qualités spécifiques à ces deux métiers. Ainsi, elle parle d’un « interpreting level » qui précèderait de peu le « niveau natif ». Pourtant, certains parfaits bilingues sont tout à fait incapables de traduire correctement un texte d’une langue à l’autre ou d’interpréter un discours lors d’une conférence tout simplement, car ils n’en ont pas les compétences. Le niveau de langue est certes un pré requis indispensable à l’activité de traduction ou d’interprétation, mais ce sont néanmoins deux choses totalement distinctes. Ainsi, si un bon traducteur a nécessairement un très haut niveau en langue, une personne parlant à la perfection plusieurs langues ne sera pas forcément un bon traducteur.

Conclusion

Je garde de Polyglot : How I learn languages un avis assez mitigé. Si je mets de côté les deux gros hics du livre qui ne sont pas censés en être le sujet principal, je garde tout de même un souvenir positif de ma lecture. De manière générale, j’en sors avec une certaine envie d’apprendre et surtout, un bon nombre de citations intéressantes et motivantes que je souhaite garder à portée de main. Mais je trouve un peu dommage que l’auteur n’ait pas développé plus en détail sa méthode d’apprentissage. Le livre est certes intéressant et globalement agréable à lire, mais on n’en tire que peu d’astuces concrètes et pratiques… C’est un peu dommage. Sur ce point, j’ai bien plus apprécié le livre de Barry Farber : How to learn any language.

Pour vous faire votre propre opinion, voici le livre de Kató Lomb en format PDF.

Polyglot – How I learn languages

 

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5 thoughts on “Polyglot: How I learn languages, de Kató Lomb

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