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Entretien avec Émilie de Turckheim (2/2) — « L’écriture est un lieu, un pays. »

img732Émilie de Turckheim est l’auteure de six romans, dont trois parus aux Éditions Héloïse d’Ormesson (Le Joli Mois de mai, 2010 ; Héloïse est chauve, 2012 ; Une Sainte, 2013). Elle a également publié chez Naïve un joli petit récit autobiographique sur son expérience de modèle vivant pour peintres et sculpteurs : La Femme à modeler (2012).

Je l’ai rencontrée lors de sa venue au Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, l’initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain.

La première partie de l’entretien est disponible [ici].

 

Vous avez écrit sur votre expérience de visiteuse de prison dans Une Sainte. Comment est-ce que vous tissez cette expérience réelle à la fiction, comment travaillez-vous cette matière ?

Avant de le faire, je pensais que ça ne changeait absolument rien, que c’était très abstrait ces frontières entre roman, texte autofictionnel ou autobiographique. Je pensais que dans tous les cas, on faisait la même chose de façon cachée : parler du monde qu’on voit, de soi, de son histoire, de son expérience… En écrivant ce texte qui me touche de très près (quand je l’ai écrit, cela faisait dix ans déjà que j’étais visiteuse), je me suis rendu compte que cela me posait un problème : sous prétexte que c’est tiré d’éléments vécus, j’ai l’impression qu’il faut que ça soit absolument vrai, que je n’ai pas le droit de modifier quoi que ce soit, même pas la couleur des yeux du détenu que je rencontre. Alors que quand je suis dans l’absolu liberté de la fiction romanesque, tout est permis, même quand je parle de choses très intimes qui sont finalement tout aussi réelles que cette expérience vécue. J’ai plutôt vécu cela comme frein. J’ai donc choisi cette forme idéalisée, presque du conte pour enfants, avec ce ton circulaire quasiment biblique pour mettre à distance ce qui me paraissait très étrange, c’est-à-dire la vérité de ma vie qui d’un seul coup n’avait plus rien à faire dans un livre. Tous ces détails qui normalement fleurissent de façon totalement impromptue, je devais au contraire les chercher comme dans des tiroirs en moi. C’est plus besogneux, j’avais la sensation de quelque chose de moins totalement libre.

À la rentrée littéraire prochaine, je publie mon journal de grossesse. À aucun moment il ne s’agit d’un roman. Dans ce cas-là, je me suis sentie beaucoup plus à l’aise parce que j’avais l’impression qu’il n’y avait absolument rien à changer. Tout était dicible, tout était pertinent puisque c’était autobiographique. Dans un roman qui s’inspire de mon histoire personnelle, c’est plus casse-gueule. Parce que j’ai un problème avec la vérité des détails. Je suis très attachée au sens des détails. Si je me mets à mentir, à remplacer un détail par un autre, même s’il me paraît plus vrai ou plus pertinent pour mon roman, j’ai un sentiment de malaise. Par exemple, dans Une Sainte, imaginons qu’un détenu dont je parle très évidemment lise — ce qui n’arrivera jamais — ce roman et se reconnaisse, qu’il reconnaisse la moitié des choses et pas l’autre moitié. Je me demande si la moitié inventée n’entache pas la moitié réelle. Je me demande si on peut mélanger à ce point les choses qui sont vraiment arrivées et les choses qui sortent de son esprit sans tout pervertir. Je n’ai pas vraiment de réponse à cette question, mais c’était très intéressant de se la poser avec justement un texte qui était à la limite de l’autobiographie — sur certains aspects bien sûr, je n’ai pas d’ailes qui poussent dans le dos et je n’ai jamais aidé quelqu’un à s’évader de prison ! Mais quand même, intégrer des lieux, des conversations, des personnages qui existent vraiment dans la vie, c’est le bordel.

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Entretien avec Émilie de Turckheim (1/2) — « L’écriture, c’est corrosif. »

SONY DSCÉmilie de Turckheim est l’auteure de six romans, dont trois parus aux Éditions Héloïse d’Ormesson (Le Joli Mois de mai, 2010 ; Héloïse est chauve, 2012 ; Une Sainte, 2013). Elle a également publié chez Naïve un joli petit récit autobiographique sur son expérience de modèle vivant pour peintres et sculpteurs : La Femme à modeler (2012).

Je l’ai rencontrée lors de sa venue au Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, l’initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain.

Retrouvez la seconde partie de l’entretien dans quelques jours !

Quand avez-vous commencé à écrire ?

D’aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours écrit. Et avant même d’écrire en fait, je m’inventais des histoires que je reprenais soir après soir dans mon lit. Je composais comme ça de petits romans. Vers six ou sept ans, je préparais des tables des matières et j’écrivais le premier chapitre. Je me souviens que j’écrivais toujours des premiers chapitres. J’ai retrouvé de petits textes, écrits presque en phonétique. Je vivais à New York à l’époque donc j’apprenais à lire et à écrire en anglais et je n’étais pas encore très au point avec le français.

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Gilles Paris : « Écrire relève de la magie »

SONY DSCGilles Paris est l’auteur de quatre romans : Papa et Maman sont morts (Seuil, 1991), Autobiographie d’une courgette (Plon, 2001), Au pays des kangourous (Don Quichotte, 2012) et tout récemment L’été des lucioles (Héloïse d’Ormesson), qui rencontre un joli succès.

J’ai pu interviewer Gilles Paris lors du Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain. Il a eu la gentillesse de partager avec moi quelques conseils d’écriture.

Quand avez-vous commencé à écrire ?

J’ai commencé à écrire à l’âge de 12 ans. Des nouvelles, des textes courts. Ça me plaisait beaucoup de raconter une histoire en peu de mots, peu de pages. J’ai écrit pas loin d’une centaine de nouvelles que j’ai longtemps laissées dans un carton. Quand j’ai commencé à réfléchir à l’idée de les faire publier, des éditeurs m’ont dit qu’il était difficile de publier des nouvelles, mais qu’il y avait un vrai ton dans mes textes et que je devrais les retravailler pour en faire des romans. C’est comme ça que sont nés mes deux premiers romans : tirés de nouvelles que j’avais écrites vers l’âge de quinze ans.

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Sandrine Colette : « Pour moi, l’écriture a eu une vertu cathartique »

SONY DSCCoupe courte, billes bleues et sourire franc, Sandrine Collette est une femme dynamique et fort sympathique avec qui on se régale de parler littérature ou chevaux. Après Des noeuds d’acier, un premier roman très remarqué et récompensé par le Grand prix de la littérature policière en 2013, vient de paraître chez Denoël son deuxième polar : Un vent de cendres.

Je l’ai rencontrée lors de sa venue au Salon du livre de Paris grâce aux Nouveaux Talents, l’initiative de mécénat de la fondation Bouygues Telecom qui a à cœur d’accompagner les écrivains de demain.

Comment êtes-vous devenue écrivain ?

L’écriture fait partie de ma vie depuis que j’ai dix ans. J’ai toujours écrit, depuis que je suis gamine. Et dans mon métier, à l’université, on écrit aussi beaucoup : des articles, des thèses, des bouquins. Je ne sais pas si on devient écrivain, mais il y a un jour où on décide de faire un roman et pas autre chose. Pas un livre scientifique, pas un article pour une revue de sciences humaines, mais un vrai roman, tout simplement.

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« La traduction littéraire, avant d’être un métier, c’est une passion » Entretien avec Corinne Atlan (2/2)

Suite et fin de l’entretien avec la traductrice Corinne Atlan. La première partie est disponible [ici !]

Du Bout des Lettres : Comment procédez-vous lorsque vous traduisez un roman du japonais ?

Corinne Atlan : Je commence toujours par faire un premier jet très proche du texte original. Je reste très littérale et j’obtiens un texte « entre-deux ». Ce n’est plus du japonais mais ce n’est pas encore tout à fait du français. À ce moment-là, il y a déjà quelque chose qui se dégage : les sons, la phrase, le rythme. Je crois qu’idéalement, il faudrait appliquer à la traduction de roman les mêmes principes qu’à la traduction de poésie. Il faudrait toujours tenir compte du rythme et des sons. L’ordre des mots, c’est autre chose. Quand j’étais étudiante, on nous répétait qu’il fallait essayer de conserver l’ordre des mots. Or, la structure de la phrase japonaise est inversée par rapport au français et, je me suis aperçue, par exemple en traduisant des haïkus, que j’étais parfois plus proche du texte en inversant, en mettant le début à la place de la chute, parce qu’alors le texte français devenait beaucoup plus fort et collait mieux à ce qui était exprimé en japonais. Ce qu’il faut avant tout respecter, même dans le roman, c’est la chair du texte : la sonorité, le rythme, la longueur. Lorsqu’on est obligé de faire une longue périphrase, c’est toujours embêtant. Je le fais aussi, bien sûr, il y a des cas où on ne peut pas faire autrement, mais j’ai toujours l’impression de tricher un peu.

D.B.d.L. : Vous n’avez jamais recours aux notes ?

C.A. : Non, pas de note. Je ne suis pas trop favorable aux notes. Si on est obligé de mettre une note, c’est que quelque part, on a renoncé à quelque chose. Sauf s’il s’agit d’un ouvrage savant, ou d’un roman historique.

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« La traduction littéraire, avant d’être un métier, c’est une passion » Entretien avec Corinne Atlan (1/2)

Distraitement, je feuillète un exemplaire jauni de l’Histoire sans fin. Il est tôt, le restaurant est encore vide. C’est au Café-Livres que j’ai donné rendez-vous à Corinne Atlan, traductrice prolifique, connue notamment pour avoir fait découvrir Murakami au lectorat français. Au programme : un déjeuner qui s’annonce passionnant, où nous allons parler de son parcours, du Japon et du métier de traducteur. Elle arrive, souriante, vêtue d’un blue jeans et d’un blouson brun. L’été ne s’est pas encore installé et l’air est vif. Pourtant, son sourire réchauffe la pièce. Mais ce qui me marque surtout, c’est la lueur qui s’allume dans son regard lorsque je prononce le mot « Japon »…

Du Bout des Lettres : Au départ, qu’est-ce qui vous a amenée à vous intéresser au Japon, à apprendre la langue japonaise ?

Corinne Atlan : À l’époque, j’avais dix-sept ans et envie de faire quelque chose qui m’intéressait vraiment. J’avais surtout envie de voyager, de découvrir le monde, et puis j’aimais les langues étrangères, alors je me suis inscrite en linguistique à la Sorbonne, et parallèlement aux Langues-O. J’ai choisi le japonais car c’est sans doute ce qui symbolisait pour moi le plus difficile et le plus lointain. Mais cela aurait pu être une autre langue. J’ignorais tout du monde asiatique. Ce qui m’attirait, c’était avant tout le terme « Langues et Civilisations Orientales ». Et j’étais fascinée par les idéogrammes, alors par curiosité, j’ai fait aussi un peu de chinois. Cela m’a moins plu parce qu’en chinois, il faut passer d’abord par l’apprentissage des tons. Le japonais, on pouvait s’y plonger tout de suite, et j’ai immédiatement aimé la sonorité de cette langue, elle était, comment dire, familière… Je ne sais pas précisément ce qui a été le déclic, pourquoi le japonais plutôt qu’autre chose. Mais au bout de deux mois, je pouvais dire pourquoi j’avais envie de continuer : tout ce que je découvrais me passionnait.

Un sanctuaire shinto à Nezu (Tokyo) ©Amanda Sherpa-Atlan

D.B.d.L. : Vous pensiez déjà à la traduction à ce moment-là ?

C.A. : Oh, moi, je n’ai jamais pensé… à rien ! J’ai été portée par mes choix du moment, par la vie. J’avais envie de faire plein de choses. J’ai toujours adoré lire et rêvé d’écrire, c’est sans doute ça le fil conducteur.

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