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« Créer les Éditions Nomades, c’était un défi personnel » : rencontre avec Florie Bodin

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Les Éditions Nomades, créées par Florie Bodin et Lucille Pachot, publient des guides de voyage « faits par des voyageurs pour des voyageurs ». Très attachées à l’image et à l’aspect esthétique, elles proposent également des albums jeunesse, des carnets de voyage ainsi que des livres et tirages d’art.

Les Éditions Nomades ont fêté il y a peu leurs trois ans d’existence. L’occasion de revenir avec l’une des fondatrices sur le cheminement de cette petite maison qui vous emmène loin !

Vous avez créé votre maison d’édition dès la fin de vos études, à la suite d’un master professionnel. Pourquoi ce choix ?

Tout d’abord, par envie d’entreprenariat. Mais les circonstances ont aussi beaucoup joué. J’ai suivi ma formation en alternance. À la fin de mon contrat d’apprentissage, la maison d’édition pour laquelle je travaillais a été mise en vente et délocalisée à Clermont-Ferrand. Il n’a donc pas été possible pour moi de rester dans cette structure. C’est toujours un peu frustrant : j’avais la sensation d’avoir vraiment créé mon poste et développé des compétences me permettant d’aller plus loin.

À ce moment-là, je connaissais déjà Lucille. Dans le cadre de notre master, nous avions évolué ensemble sur des projets et notre collaboration fonctionnait bien. Au détour d’une discussion, nous avons évoqué notre envie d’entreprendre, au départ plutôt sur un mode associatif pour essayer de mettre à profit nos compétences. Mais le projet a rapidement pris une plus grande ampleur, nous voulions y mettre plus de sérieux et de cadre. Nous avons donc décidé de monter une société et de nous donner les moyens pour que ça marche. Nous avions envie de voir jusqu’où nous pouvions aller. C’était aussi un défi personnel.

Comment s’est passée la création des éditions Nomades ?

Lorsque mon apprentissage et le stage long de Lucille se sont arrêtés, nous nous sommes tout de suite mises au travail. Nous n’avons même pas envoyé de CV. Nous nous sommes dit : « C’est maintenant ou jamais, nous n’avons rien à perdre ». Aujourd’hui, si nous avions un poste avec tous les projets personnels que cela permet (avoir des enfants, devenir propriétaire…), nous aurions sûrement du mal à le quitter pour nous lancer dans l’aventure. Il y a trois ans, nous n’avions rien à sacrifier. C’était le bon moment.

Nous avions envie d’investir un peu d’argent et de voir de quoi nous étions capables. Or, à deux et avec un investissement de départ, on ne peut pas échapper au statut de SARL. Nous avons cherché une alternative afin d’éviter d’avoir à payer de lourdes taxes, de devoir rendre des comptes aussi importants. Le statut de SARL, quand on a vingt-quatre ans, ça fait un peu peur. Nous avons donc décidé de faire ça bien et avons engagé un comptable qui a monté nos statuts. C’était la première étape. Nous avions vraiment besoin de cet encadrement, de ces conseils.

Quelles sont les erreurs à éviter quand on crée une maison d’édition ?

L’erreur à éviter, il me semble, c’est de négliger cet aspect administratif, comptable. Le reste, on le maîtrise, ou en tout cas on le fait plus naturellement. Une erreur comptable, mathématique, est vite arrivée et c’est quelque chose que l’on ne maîtrise pas. On ne peut pas être sur tous les fronts. Il en va de la survie de l’entreprise. Être carré, sérieux et sain en termes de fiscalité permet aussi de rassurer un imprimeur chez qui on commande pour 10 000 € d’impression. Une véritable erreur serait de se dire qu’on va essayer de faire de petites économies en se passant d’un comptable, en essayant de faire les choses tout seul.

À nos débuts, nous avons consacré beaucoup de temps et d’énergie à monter le projet, à réfléchir à ce nous allions sortir, à tout préparer… C’était donc un gros avantage que toute la partie administrative soit mise en place par un professionnel. Aujourd’hui, au quotidien, nous maîtrisons les choses, mais tout est validé et tamponné par le comptable. Cette tranquillité d’esprit est très importante.

Les Éditions Nomades ont récemment fêté leurs trois ans d’existence. Aujourd’hui, votre maison est-elle rentable ?

Oui, elle est rentable. Ça a d’ailleurs été très rapide. Les cinq mille euros que nous avons investis au départ ont servi à payer la première impression. Mais il est vrai que l’édition (indépendante) est l’un des milieux les moins rentables en termes de pourcentages : les prix sont assez bas, les points de vente sont plus limités que pour d’autres types de produits et le panier moyen d’un Français n’est pas le même que pour l’habillement par exemple. Les marges sont donc forcément plus modérées que dans certains secteurs. On ne peut pas vraiment suivre le modèle d’une start-up quand on est une maison d’édition, on ne va pas brasser des millions tout de suite (rire) ! Surtout qu’en ce qui nous concerne, nous avons pris le parti de ne pas faire de gros emprunts, de faire les choses avec nos propres moyens, à notre taille. Nous sommes prudentes.

Au bout de combien de temps avez-vous commencé à vous verser un salaire ? Êtes-vous satisfaite de votre salaire actuel ?

Au bout d’un an, et modestement ! Mais c’était un choix. Nous aurions pu commencer à nous payer tout de suite en empruntant plus, tout simplement.

Actuellement, nous n’avons pas un gros salaire, nous avons dû faire un sacrifice sur nos revenus. Nous ne touchons pas ce que nous pourrions espérer dans un poste traditionnel, c’est sûr. En revanche, nous sommes épanouies dans notre travail, nous apprenons beaucoup et nous avons aussi pour objectif de gagner plus et d’avoir une maîtrise totale de nos revenus.

Comment envisagez-vous l’avenir de votre maison d’édition ?

Nous avons deux ans de production d’avance. Les contrats sont signés jusque fin 2015. Nous savons que ces livres vont sortir et nous sommes très positives pour l’avenir. Aujourd’hui, nous avons assez de recul pour savoir nous arrêter s’il le faut et pour savoir reconnaître que ce que nous avons accompli jusqu’à présent est déjà une belle aventure. L’autre jour, une auteure nous a demandé ce que nous ferions si on nous proposait de racheter les Éditions Nomades. Ce n’est tout simplement pas envisageable ! Soit nous arrêtons tout et passons à autre chose, soit nous continuons sur notre lancée, mais nous n’avons pas pour objectif d’appartenir à un groupe, ni d’avoir beaucoup d’employés. Nous ne voulons pas de quelque chose qui nous dépasse. À trois ans d’existence, c’est ainsi que nous voyons les choses. Mais peut-être que dans trois ans, nous aurons changé de discours.

Selon vous, comment se porte le marché du livre actuellement ? Notamment celui de l’édition de voyages. On entend régulièrement que l’édition est en crise, ce qui ne semble pourtant pas en accord avec les conditions de création et le succès des Éditions Nomades.

Est-ce que l’édition n’a pas toujours été en crise ? Ce qui est sûr, c’est qu’une petite maison subit exactement les mêmes crises et les mêmes épanouissements en étant indépendante qu’en appartenant à un grand groupe. Il y a toujours des aléas, mais ni plus ni moins. Pour ce qui est des Éditions Nomades, nous nous en sortons à notre échelle. On peut dire que ça marche bien, mais nous sommes loin de rivaliser avec d’autres. En termes de placement en librairie, notre visibilité nous satisfait, mais nous pourrions être très ambitieuses et avoir les dents toujours plus longues. Notre petite taille nous permet aussi d’être plus réactives. Et nous avons la possibilité de tester des choses. Nous avons rencontré des échecs, il n’y a pas forcément que du positif, mais dans la balance, tout cela s’équilibre.

Ce que l’on ne maîtrise pas du tout et qui peut faire peur dans l’édition, c’est tout ce qui touche au numérique. C’est ce que l’on entend souvent aujourd’hui et ce que nous entendions déjà sur les bancs de l’école. On nous répétait alors qu’il faut s’y sensibiliser, que c’est un secteur en ébullition. Nous avons donc testé des choses dans ce domaine et avons pu voir que c’est un secteur encore balbutiant. Dans le voyage, on n’a pas encore trouvé la bonne formule, c’est certain. Et chez Nomades, nous sommes éditeurs, pas développeurs d’applications. Le numérique n’est pas notre objectif premier, car les utilisateurs, les acheteurs de guides partent avec un livre papier. Posséder l’objet, le ranger dans sa bibliothèque, c’est un moyen de garder un trophée de son séjour. C’est un souvenir, quelque chose que l’on transmet aussi parfois. On réserve peut-être son hôtel et son billet d’avion sur Internet, mais c’est important pour beaucoup de gens de partir avec quelque chose à lire dans l’avion qui mette dans l’état d’esprit du voyage.

Qu’est-ce qui vous plait le plus dans votre métier ? Et le moins ?

Ce qui nous plait le moins, c’est tout le volet comptabilité. C’est d’ailleurs aussi pour cela qu’on a commencé par déléguer !

Quant à ce qui nous plaît le plus, c’est la variété au quotidien : rencontrer des gens très différents, multiplier les casquettes. Dans la même journée, nous pouvons vérifier des traceurs d’impression, organiser une dédicace avec un libraire, faire le point avec le diffuseur ou discuter d’un projet avec un auteur…

L’aspect très empirique de ce travail nous plaît aussi, et l’idée de travailler sans filet. Il y a des gens à qui cela peut faire peur. Un jour, nous avons décidé de créer les Éditions Nomades, et le lendemain matin, nous étions derrière un ordinateur, nous avons travaillé toute la journée, puis la suivante, et la suivante… Après, ça ne s’est pas arrêté ! C’était une toile blanche et tout était à construire. Tout est possible.

Un conseil à donner aux étudiants ou à tous ceux qui souhaiteraient, comme vous, créer leur propre structure ?

Aux étudiants, je conseille vivement l’apprentissage. Il faut multiplier les expériences dans les petites et les grandes maisons, aller sur le terrain et varier les plaisirs : il n’y a pas que le roman. Il y a de tout dans l’édition : des magazines, des guides de voyage, des livres pratiques, des albums jeunesse, des choses hybrides aussi… L’édition touche plein de secteurs.

À ceux qui souhaitent se lancer, je dirais : réfléchissez-y bien, posez-vous, rencontrez des gens qui l’ont fait. L’envie d’entreprendre ne suffit pas. Il est important d’avoir conscience des sacrifices que cela représente. Il faut être passionné tout en ayant les pieds sur terre. Le projet doit être mûri. Ce n’est pas tout rose et on ne gagne pas forcément bien sa vie. On a tout intérêt à être bien accompagné et structuré. Il faut avoir de l’autodiscipline. Comme pour toutes les professions indépendantes en fait.

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One thought on “« Créer les Éditions Nomades, c’était un défi personnel » : rencontre avec Florie Bodin

  1. Marièle says:

    Super interview, je n’avais même pas vu que tu l’avais publiée ! Bon tu me l’avais envoyée en avant-première, mais c’est un plaisir de la relire. Je leur écris très bientôt à ces jeunes femmes ;)

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