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Labo de l’Écriture – Day 4 : Bienveillance

Je n’ai pas envie d’écrire ce dernier épisode du Labo de l’Écriture. De mettre un deuxième point final à cette expérience en immersion qui représente tant à mes yeux. De fermer définitivement la porte de la salle vitrée du niveau -1. Non, je n’en ai vraiment pas envie.

Mais c’est aussi un passage obligé, un cap nécessaire sur le chemin de l’aspirante écrivain que je suis. Quitter le nid, battre de ses propres ailes (même si l’aspirante écrivain que je suis ne devrait probablement pas utiliser des métaphores aussi cliché)… Faire face à la page blanche, mais surtout et bien plutôt faire face à tout ce qui vient après, une fois que cette page n’est plus complètement blanche. Même si la seule chose qui y est écrite est : « Soudain, la pendule du salon sonna trois heures ».

Non, je n’ai pas envie d’écrire ce dernier épisode du Labo de l’Écriture. Mais si, le premier jour de cette aventure, Bruno nous a précipités, mes camarades laborantins et moi-même, dans l’écriture sans bouée ni flotteur, je sais aujourd’hui que c’est à moi et à moi seule de sauter à pieds joints dans le grand bain. Heureusement, avec un petit Bruno et dix autres petits lecteurs posés sagement sur mon épaule, je ne devrais pas avoir peur…

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Hier, nous n’avons pas eu le temps de lire nos textes. Ce qui, d’un côté, n’est peut-être pas plus mal. Cela donne à ceux qui le souhaitent (et qui en ont le courage) l’occasion de retravailler leurs écrits. Au calme. Sans limite de temps. Et de les laisser reposer.

Pour ce dernier jour, j’ai vraiment joué le jeu et pris des risques. Lorsque j’écrivais le premier jet déjà, j’avais les joues rouges et le cœur emballé. Je partageais l’émotion de mon personnage, mais j’avais la sensation de ne pas réussir à la faire passer sur le papier. Comme cela m’arrive souvent. Impression désagréable de ne pas réussir à faire naître en mots l’intensité nécessaire. Je le ressens de manière d’autant plus mordante que nombre de mes camarades de bulle ont produit des textes saisissants.

Plus loin, j’incorpore un dialogue. J’ai du mal avec les dialogues. Ils ne sonnent jamais juste à mes oreilles. Ils semblent toujours d’une affligeante platitude.

Je joue le jeu, je prends des risques. Mais je suis à la fois soulagée et angoissée, à la fin du troisième jour, de repartir avec ce fardeau sur les bras. Alors dans la soirée déjà bien avancée, je me cale confortablement dans le canapé, le plus loin possible de mon bureau, de mes livres, et je réécris. Sur ordinateur cette fois. Pour écrire dans l’instantanéité, je préfère le papier. Mais je réécris sur clavier. Je prends ce premier jet pour ce qu’il est : une ébauche brossée à la va-vite. Je reprends les phrases et pèse chacune d’elle. La garder, l’enlever. Lui donner une nouvelle forme ? Je passe près de deux heures sur ce texte, j’y opère des changements majeurs, parfois non sans difficulté. Mais je sais que c’est pour le mieux. Oui, mon texte est mieux qu’avant.

Puis, au moment d’enregistrer le document et de l’imprimer dans la perspective du lendemain, tout s’effondre dans ma tête. Mais pour qui je me prends ? À quoi je joue ? Qui cela va-t-il bien pouvoir intéresser ? Ce texte ne vaut rien…

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Le lendemain matin, j’ai l’impression que Bruno a lu dans ma tête : « Pour qui écrit-on ? » note-t-il sur son tableau blanc. « Il faut se demander si ce que l’on écrit va intéresser quelqu’un d’autre que soi. Qu’est-ce que cette histoire particulière peut avoir de plus général que moi ? » Il nous parle du journal d’André Gide. On ne fait pas plus personnel qu’un journal. Et pourtant, celui-là a fasciné le public. Et ce n’est certainement pas le seul.

Il ne faut pas nécessairement chercher un sujet qui, a priori, devrait attirer beaucoup de lecteurs. « On peut tout à fait parler d’un sujet qui touche beaucoup de citoyens, mais peu de lecteurs ». Ce n’est pas la peine de chercher le thème à la mode. Cocteau disait d’ailleurs : « Être dans l’air du temps n’est qu’une ambition de feuille morte ».

Pour Bruno, le secret est d’avoir toujours un lecteur perché sur son épaule. C’est une manière d’écrire en se dédoublant. « Ce n’est pas dans ce que vous dites, mais dans la manière dont vous l’amenez ».

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Puis vient le moment redouté : celui de lire nos textes. Je suis toujours en plein rejet de ce que j’ai écrit la veille, mais au fond de moi, j’ai envie que les autres entendent ce texte. Pour avoir leur avis, des remarques pour m’aider progresser. Je suis là pour ça. Je joue le jeu. Je prends des risques. Mais des risques mesurés tout de même. Alors je demande à quelqu’un de me prêter sa voix.

Juliette se dévoue. Heureusement que j’ai tapé mon texte car déjà, elle bute sur quelques mots. Puis rapidement, sa voix prend de l’assurance. Je me mets en retrait dans ma tête, j’écoute comme si ce n’était pas mes mots qui résonnaient dans le silence. Et petit à petit, je me laisse prendre. Par la qualité d’écoute de mes camarades. Par le rythme des phrases. Ce n’est peut-être pas si mal finalement… C’est drôle, mais dans mon roman qui n’existe pas (encore), j’imaginais cette scène vers les deux tiers. À la page 163, disons. Mais maintenant, je réalise que ce passage est l’exact milieu de mon histoire, son pivot. Sensation étrange de quelque chose qui se met en place, presque malgré moi. Comme si la structure existait déjà, avant moi.

« On dirait que vous avez déjà écrit 800 pages ! On sent que ce passage s’inscrit dans quelque chose de bien plus vaste. Vous tenez quelque chose là » m’annonce Bruno. Cela surprend la part de moi qui ne sait pas faire long, qui ne tient pas l’écriture dans la durée. Les commentaires chaleureux me touchent. Finalement, ce texte n’intéresse pas que moi. Finalement, l’émotion est passée. Il y une telle bienveillance dans la pièce. Je suis soufflée par les mots de Bruno. Il comprend tellement de choses, à partir d’une seule scène, de ce que pourrait être cette histoire, ce roman qui n’existe pas (encore), de ce qui n’y est pas dit, mais qui se lovait dans ma tête au moment où je l’ai écrit.

Pendant ces quatre jours, il a fait preuve d’un tel respect envers nous et nos textes, d’une telle humilité, toujours inquiet de nous blesser. Cet homme est d’une telle générosité. Il a su nous donner confiance en soulignant nos forces, nos atouts et nous a mis sur la piste pour progresser en pointant certaines faiblesses et en nous aidant à construire notre « boîte à outils », un ensemble de ressources où piocher en cas de besoin. Mais surtout, il a traité chacun d’entre nous comme de véritables écrivains. Pour tous ou presque, c’était probablement la première fois.

Il nous regarde avec un air complice, nous sourit : « Bon bah maintenant, faut y aller. Il faut tenter le prix Nouveaux Talents. »

 

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Les personnes concernées savent déjà (du moins, je l’espère) à quel point je les remercie. Je ne vais donc pas vous assommer avec quinze lignes moelleuses et dégoulinantes d’amour guimauve. Tout ce que je dirai pour conclure, car il faut bien conclure, c’est que ces quatre jours ont été une expérience formidable partagée avec des personnes tout aussi formidables. On est dans le cadre de ces rares moments qui marquent une vie et que l’on reconnaît instantanément. Alors si la plume vous démange, n’hésitez plus et guettez, vers le mois de février prochain, l’appel à candidatures pour la prochaine édition du Labo de l’Écriture. Le jeu en vaut largement la chandelle.

 

*

 

La citation du jour :

La page d’un livre est généralement composée de 50% de texte (la part de l’auteur) et de 50% de marge (la part du lecteur).

« Nous sommes à 50% les auteurs des livres que nous lisons » (Bruno Tessarech)

Le conseil du jour :

Ayez toujours sur votre épaule un petit lecteur qui regarde ce que vous écrivez. Mais surtout, restez vous-même.

Bonus :

Pour finir sur une touche joyeuse et légère, Bruno nous a proposé un petit jeu d’écriture. Je vous le soumets également, pour les jours de fringale littéraire. Il s’agit d’écrire un texte en incorporant obligatoirement au moins un lieu, un personnage et un objet de la liste ci-dessous…

Lieux > Une fermette un peu abandonnée en bordure de forêt dans les Landes, un abribus, la salle en Rotonde aux Invalides, la boutique d’un brocanteur aux Puces de Clignancourt.

Personnages > Un jeune militaire au crâne rasé avec un gros sac, une vieille dame avec un cabas plein de journaux, une petite fille de 10/12 ans qui pleure, un trentenaire ancien banquier qui a démissionné.

Objets > Une boussole dont l’aiguille est bloquée, une pierre fossile avec la trace en creux d’un reptile, un carnet dont seules les deux premières pages sont remplies, un billet de banque sur lequel quelqu’un a inscrit un signe distinctif dans l’espoir de le retrouver un jour.

Bien sûr, vous pouvez créer votre propre liste. C’est peut-être même mieux. Ou inventez votre propre jeu… Pour celui-ci, nous avions eu une vingtaine de minutes, mais prenez le temps que vous voulez, c’est un jeu après tout.

À vos stylos, prêts, partez !

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Le Labo de l’Écriture est une initiative de la Fondation Bouygues Telecom (en partenariat cette année avec Evene.fr – Le Figaro) qui s’est donné pour mission de promouvoir la langue française, d’encourager la création littéraire et d’accompagner les aspirants auteurs.

Plus d’information sur le site Les Nouveaux Talents.

Le récit de [Sophie]

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2 thoughts on “Labo de l’Écriture – Day 4 : Bienveillance

  1. Je ne connaissais pas le prix Nouveaux Talents. TU me donnes envie de tenter ma chance, surtout que depuis ton dernier billet (oui je ne les lis pas dans l’ordre), j’écris tous les jours.
    Et toi, tu vises d’y participer ?

    • cathymini says:

      Je m’en sers comme « objectif prétexte ». Mon réel objectif, c’est de finir un roman. Alors je vise le Prix Nouveau Talent pour me donner une deadline et une motivation. Mais je ne suis pas franchement certaine que ce que j’écris entre dans la consigne sur les modes de communication. Je fais comme si et on verra bien dans quelques mois ce que ça donne :)

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